Commentaire de Rebecca Braeu, Responsable Crédit Souverain chez Standish, BNY Mellon AMNA.
Avant la crise financière et celle des dettes souveraines, et à quelques exceptions près, la carte de la zone euro se divisait entre les pays dits « cœur » au Nord (notamment les Pays-Bas et l’Allemagne) et ceux qualifiés de « périphériques » au Sud (l’Espagne, le Portugal et l’Italie). Entre ces deux pôles, plusieurs pays que l’on pourrait définir comme « quasi-cœur » émaillaient toute la région, parmi lesquels la France et la Belgique.
La réalité du paysage économique était toutefois la suivante :
- « Cœur » : des économies bénéficiant d’une forte compétitivité et de larges excédents courants durables
- « Quasi-cœur » : des économies assez compétitives avec des comptes courants à peu près équilibrés
- « Périphériques » : des économies non-compétitives accusant d’importants déficits courants.
Le groupe de pays « quasi-cœur » de la zone euro se développe à mesure que les pays récoltent les fruits des réformes structurelles passées et que la dynamique de croissance se poursuit en zone euro. Selon notre analyse, l’Espagne est en passe de devenir un de ces pays, en ligne avec les prix actuels du marché.
Pendant les 4 années précédant la crise financière mondiale, les pays périphériques ont généré une croissance conforme à celle des pays « cœur » et « quasi-cœur » en gérant d’importants déficits courants. L’Espagne figurait parmi ces pays : elle enregistrait une croissance annuelle moyenne de 3,2%, tirée par des déficits annuels moyens de sa balance courante de -8,8%. De même, d'autres économies périphériques - Chypre, Portugal, Grèce, Lettonie - connaissaient toutes des conditions économiques d'avant-crise similaires à celles de l'Espagne.
Cependant, depuis le point culminant de la crise des dettes souveraines en 2013, la situation régionale a radicalement changé. Les pays traditionnellement considérés comme « cœur » et « quasi-cœur » selon le vieux schéma ont tous perdu en compétitivité (à la seule exception de l’Allemagne), tandis que les anciens pays « périphériques » ont tous gagné en compétitivité. L'Espagne n’a pas échappé à cette tendance.
Depuis la crise, la balance courante annuelle moyenne de l'Espagne a augmenté de 10,4%, et le pays n’a accusé qu’une légère baisse de sa croissance annuelle (-0,5%) au cours des 4 dernières années, période pendant laquelle la zone euro a renoué avec une croissance positive.
Cette mutation du paysage de la compétitivité en Europe est tout à fait remarquable, et nous rappelle la réussite d’autres pays autrefois considérés comme périphériques dans la région, comme la Slovaquie, la Slovénie ou la Lettonie. Le fossé entre la périphérie et le cœur de la zone euro se réduit donc, ce qui a comme conséquence l’émergence d’un bloc de pays « quasi-cœur » plus important à mesure que ces pays gagnent en compétitivité grâce aux progrès réalisés en matière de réformes structurelles.
D'un point de vue purement économique, l’Espagne présente toutes les caractéristiques d’un pays « quasi-cœur ». Le FMI estime que la croissance potentielle de l'Espagne s'est améliorée, passant de 0% en 2014 à 1,5% cette année. Son rythme de croissance attendu se situe aujourd’hui à 2,5%. Bien que cela soit dû en partie à des facteurs cycliques, les réformes structurelles mises en place à partir de 2009 ont largement contribué aux gains de compétitivité réalisés par l’Espagne et à une croissance potentielle plus élevée.
Élément encore plus signifiant, l’Espagne retrouve grâce aux yeux des investisseurs en 2018. L’agence S&P a confirmé les perspectives positives du pays en relevant vendredi dernier la note de crédit de l’Espagne de BBB+ à A-, emboîtant ainsi le pas à l’agence Fitch qui avait pris la même décision en janvier. Pour les marchés, la dette espagnole tombe désormais dans la catégorie « A ».
Les marchés financiers continueront d’ajuster la valeur des actifs espagnols relatifs à l’Italie et au Portugal, à mesure que l'Espagne bénéficiera de davantage de reconnaissance de la part des agences de notation compte tenu de la robustesse de sa croissance et de son excédent courant.