Point mensuel Macroéconomie et Marché des actions par Christopher Dembik, Responsable de la recherche macroéconomique et Andrea Tuéni, Sales Trader, tous deux chez Saxo Banque.
La correction de lundi dernier, en grande partie liée aux positions vendeuses sur le VIX, et accentuée par le trading algorithmique, ne remet pas en cause la tendance de fond haussière sur le CAC 40. D’après le Globalix/ZoneFinance Equity Indexes Consensus 2018 - qui rassemble les prévisions des principaux gestionnaires de fonds parisiens -, l’indice parisien pourrait atteindre 5 725 points en milieu d’année et 5 800 points en fin d’année.
2017 a connu sa 2ème plus longue période de hausse depuis la crise financière mondiale de 2007
Sur toute l’année 2017, en moyenne 87% des jours de cotation ont vu le CAC 40 terminer dans une étroite fourchette comprise entre -1% et +1. Ce fait est plutôt surprenant dans la mesure où de nombreux investisseurs, particulièrement les investisseurs étrangers, considéraient l’élection présidentielle française comme un facteur de risque majeur.
De plus, le VCAC, qui mesure la volatilité du CAC 40, est resté orienté à la baisse en 2017 après son pic de 2016 (39% contre un niveau record de 78% en 2008). Dans le cas de la France, le risque politique a certainement été surestimé, mais la persistance d’une faible volatilité est aussi une conséquence directe de la métastabilité actuelle du marché et d’une mauvaise allocation des capitaux.
En tenant compte des dividendes réinvestis, le CAC 40 a connu sa deuxième plus longue période de hausse depuis 2007. Sur la période 2007-2017, seule l’année 2015 a fait aussi bien, avec un rendement mensuel positif sans interruption sur les cinq premiers mois de l’année. Cependant, pour les années pour lesquelles nous disposons de données (c’est-à-dire depuis 1988), les meilleures performances sont réalisées en 1998 (6 mois avant un premier mois de performance totale négative) et 2000 (8 mois). Ces périodes de gains se sont souvent soldées par une forte chute. Lorsque cela s’est produit en 2000 puis en 2015, la chute du CAC 40 au cours du mois suivant a été respectivement de 5,4% et de 3,8%. L’an dernier, la baisse a été plus limitée (-2,6%) et a été suivie de 5 mois consécutifs de hausse.
Sans négliger des risques de marché évidents, nous pensons que la tendance à la hausse peut se poursuivre, du moins à moyen terme, pour 4 raisons.
Le CAC 40 dispose encore de marges de progression
1/ L’effet Macron : C’est le facteur le plus souvent évoqué par les journalistes et les investisseurs lorsqu’ils évoquent le rebond français. Toutefois, il est objectivement beaucoup trop tôt pour évaluer les conséquences économiques et financières exactes des réformes prometteuses qui ont été engagées. Si l’on considère le marché obligataire, un indicateur fiable du sentiment des investisseurs, l’effet Macron n’a donné aucun élan. Le graphique ci-dessous montre que, de novembre 2016 au printemps 2017, les investisseurs japonais évitaient la France et privilégiaient les obligations allemandes en raison des incertitudes liées à l’élection présidentielle. Peu après, la situation est revenue à la normale. Les achats mensuels nets japonais (Allemagne moins France) sont même inférieurs à leur niveau sous la présidence de M. Hollande. Aucun effet Macron n’est perceptible sur le marché.
Jusqu’à présent, ce que nous appelons l’effet Macron est surtout un très gros regain de confiance et une campagne de communication très bien menée pour attirer les investisseurs. Autant que je me souvienne, c’est la première fois que la France adhère officiellement et sans ambiguïté au capitalisme et à la mondialisation. Concrètement, des opportunités émergentes se présentent aux investisseurs étrangers : non seulement ce qu’on appelle la « FrenchTech », mais, avant tout, une vague de privatisations qui va toucher des entreprises à forte valeur ajoutée dans différents secteurs (aéroports, constructeurs automobiles, jeux de hasard, etc.) et l’introduction d’une fiscalité plus favorable aux investisseurs. Voilà vers quoi se dirige la France, mais cela ne suffit pas à expliquer le boom du CAC 40 ces dernières années.
2/ Le Credit impulse : Outre l’assouplissement quantitatif mondial, de solides bénéfices et l’effet Macron, le Credit impulse a été un facteur clé de la performance du CAC 40. L’indice propre à la France a atteint un sommet en octobre 2016 à 3,1% du PIB et se situe actuellement à un niveau robuste de 1,8% du PIB. Étant donné que cet indice devance le CAC 40 de 6 à 9 mois, on peut s’attendre, toutes choses étant égales par ailleurs, à ce que la Bourse de Paris poursuive sa trajectoire à la hausse.
3/ Aucun risque de surchauffe : Contrairement au S&P500, dont la valorisation paraît élevée selon divers indicateurs (ratio CAPE de Shiller, mais aussi indicateur de Warren Buffett et Q de Tobin), le CAC 40 n’est pas surévalué. Le ratio cours sur bénéfices s’établit fin décembre 2017 à 20,4, contre 28 au début de 2014.
En examinant de plus près la composition du CAC 40, il est intéressant de noter qu’environ un tiers des actions seulement se négocient sur les derniers mois à un niveau historiquement élevé. Il est constitué de valeurs de croissance (Kering, LVMH), de valeurs défensives (Danone, Pernod Ricard, Vinci), mais aussi de valeurs plus cycliques (Airbus, Safran, Michelin, Scheider, Air Liquide). En d’autres termes, de nombreuses actions sont encore bien en deçà de leur niveau record. Nous avons entre autres les secteurs de la banque et de l’assurance (BNP Paribas est 25% en dessous de son cours le plus élevé, la Société Générale plus de 60%), mais aussi les constructeurs automobiles et le secteur de l’énergie. En conclusion, les actions composant le CAC 40 ne se trouvent pas en surévaluation. Des marges de progression et un certain potentiel de croissance sont encore à dégager pour de nombreuses actions.
4/ L’analyse technique se révèle positive à long terme : D’un point de vue technique, le CAC 40 a franchi un seuil clé en mars 2017 (c’est-à-dire, fait intéressant, en plein milieu de la campagne présidentielle française). Il a rompu avec sa trajectoire sur le long terme orientée à la baisse depuis l’été 2000. Pour les investisseurs à long terme, cela constitue un signal d’achat important.
À court et moyen terme, après la correction que viennent de traverser les marchés, les investisseurs vont devoir reprendre l’habitude de traiter avec une volatilité plus élevée.
La période de très faible volatilité que nous venons de traverser était anormale et il semble que les choses soient en train de se normaliser. Dans ce contexte, les marchés devraient rester nerveux. La hausse vertigineuse des indices depuis plusieurs mois et plus récemment sur le premier mois de l’année 2018 laissait planer un risque de correction. Les marchés ont connu une des phases les plus longues sans correction d’au moins 5% et cette anomalie est désormais rectifiée.
Le repricing du risque inflationniste est un des arguments avancé pour justifier le mouvement de correction des marchés depuis le début du mois de février. Les investisseurs craignent, en effet, une normalisation plus rapide des politiques monétaires des Banques Centrales en raison d’une inflation qui semble se redresser plus rapidement que prévu. Les derniers propos de la FED et surtout le croissance surprise des salaires lors du dernier rapport sur l’emploi ont mis le feu aux poudres et ont ramené le Vix, également appelé, « indice de la peur » à des niveaux plus jamais côtoyés depuis 2015. Même durant le Brexit ou l’élection de Trump, le Vix n’avait pas atteint un tel niveau.
La correction que nous traversons actuellement n’est pas forcément malsaine. La vitesse du mouvement a, en revanche, pu surprendre. Cependant, au sortir d’un contexte de marchés en zone de sur achat et de volatilité aussi faible, la correction avait tous les ingrédients pour être violente.
Les marchés tentent depuis d’inverser la tendance et de regagner du terrain mais la nervosité reste palpable. La volatilité devrait, comme indiqué précédemment, rester à des niveaux importants. Par ailleurs, l’évolution du marché obligataire n’est pas très rassurante. La hausse des rendements qui a alimenté le mouvement de correction se poursuit. Le 10 ans américain a cassé à la hausse les niveaux post élection de Trump. Cet élément est donc de nature à maintenir une pression sur les actions.
Concernant l’indice CAC 40, un retour rapide au-dessus des 5250 sera nécessaire pour sortir de cette spirale négative. On pourra avoir un regard plus positif dans le cas où l’indice retrace 61,8% du dernier mouvement de baisse (niveau de Fibonacci) soit un retour au-dessus des 5345/50 points. A l’inverse, une cassure des derniers plus bas, sous les 5000 points à 4972 points serait un fort signal négatif qui pourrait nous ramener au moins vers 4880 points.
Un risque de détérioration pèse sur la tendance actuelle
Un ralentissement mondial trop peu pris en compte : Il s’agit là certainement d’un des principaux facteurs de risque qui pourrait déclencher une correction durable. Nous répétons depuis des mois que la croissance est sur le point de ralentir, principalement en raison de la Chine qui représente plus d’un tiers de l’impulsion de croissance mondiale. Il s’agit clairement d’un risque majeur pour les marchés d’actions puisqu’il n’a pas été correctement pris en compte dans les cours. Autrement dit, les risques pour le CAC 40 viennent, comme d’habitude, de l’extérieur et non de l’intérieur. Nos indicateurs chinois favoris sont orientés à la baisse et les dernières données asiatiques semblent confirmer notre scénario. Alors que tout le monde parle d’une croissance synchronisée et plus vigoureuse, la Corée du Sud a connu pour la première fois depuis l’affaire Lehman Brothers une baisse du PIB en glissement trimestriel (-0,4% au T4 2017). Les deux explications avancées sont l’effet lié aux périodes de vacances (affectant également la Chine) et les ouragans américains (affectant également la Chine eux aussi). Cependant, la principale différence avec la Corée du Sud est qu’officiellement la Chine poursuit sa progression à environ 7%. Ces événements n’auraient aucun impact réel. Qui ment ? Soit la Chine a réussi à développer son marché intérieur plus rapidement que prévu, soit les derniers chiffres du PIB chinois devraient être considérés comme une « indication » et non comme un reflet de la réalité.
Un cours de l’euro défavorable dans un contexte de guerre commerciale : Il s’agit là du deuxième plus grand défi pour la bourse française cette année. Habituellement, Davos est un événement ne présentant que peu d’intérêt. Il s’agit avant tout de mondanités et d’occasions de réseautage, mais le Forum n’apporte que peu de perspectives en matière de politique économique. Cette fois pourtant, Davos a fourni une mine de conseils. La perspective d’une guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, qui s’ajouterait à une baisse du dollar américain, est une très mauvaise nouvelle pour les marchés d’actions européens. Avec un dollar entré dans un cycle baissier à long terme, la hausse de l’euro pourrait entraîner une réduction des bénéfices. En moyenne, chaque hausse de 10% du cours de l’euro réduit de jusqu’à 7% les bénéfices des entreprises de la zone euro avec, au final, une baisse du marché des actions.
Des anomalies de marché : Là encore, les anomalies de marché sont moins frappantes que celles du marché américain. Toutefois, comme partout ailleurs, l’assouplissement quantitatif a biaisé les prix. L’événement financier le plus intéressant de la fin 2017, bien que l’un des moins commentés, a été de voir le français Veolia, noté BBB, emprunter à un taux négatif. Cela ne constitue absolument pas une situation normale de marché. Si elle est mal gérée, la sortie des politiques monétaires accommodantes pourrait constituer un risque réel pour le marché haussier, surtout à la fin du mandat de M. Draghi en février 2019. Nous n’en sommes cependant pas là même si des remous passagers ne sont pas à exclure, symptomatiques des anomalies de marché actuelle, comme on l’a vu ce fameux lundi 5 février.
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