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Conquérir les marchés haussiers : le faux duel entre investisseurs actifs et passifs

 

Par Stéphane Monier, Responsable des investissements, Banque Privée, Lombard Odier

Investir aujourd’hui est souvent considéré comme étant une bataille entre des gérants de fonds traditionnels et des ETF avant-gardistes (exchange-traded funds, fonds négociés en Bourse). Cependant, ce raccourci entre la « gestion active » et la « gestion passive » n’aide pas les investisseurs.

Il est de notre devoir de plutôt examiner les coûts, les risques et les opportunités de l’une et l’autre. Chez Lombard Odier, nous croyons en une approche d’investissement pragmatique, qui bouscule les idées reçues à propos de l’utilisation appropriée des solutions actives ou passives. Ce qui compte pour nous est de générer, pour nos clients, la meilleure performance ajustée au risque après déduction des frais.


Gestion passive : payer moins pour gagner plus ?

Depuis l’essor de la « gestion passive » via les ETF liquides au début des années 2000, les gérants de fonds traditionnels se sont graduellement vus étiquetés de dépassés, voire inutiles, et « la gestion de fonds active » devenait de plus en plus réputée comme une industrie exploitant les clients par le biais de frais élevés. Les solutions d’investissement passives, sous la forme de fonds indiciels, sont comparées aux services de taxi révolutionnaires proposés par Uber ou aux plateformes de diffusion musicale, qui ont condamné les CD à la disparition. Depuis la crise financière mondiale de 2007/2008, alors que les fonds indiciels sur actions ont souvent dégagé un rendement de 7 à 8%, les investisseurs auraient pu penser que les gérants de fonds actifs tentaient futilement d’anticiper la direction du marché, un service qui coûtait aux investisseurs en moyenne 1,4% de la valeur de leur portefeuille chaque année.

Cependant, au-delà des discours, c’est une révolution de la baisse des coûts qui est en marche. Les frais de gestion moyens d’un fonds actions à gestion passive s’élèvent à environ 0,6%. Cela représente moins de la moitié des frais dont est assorti un fonds équivalent à gestion active (1,4%), d’après les chiffres de Thomson Reuters Lipper. Les estimations indiquent que plus de USD 1 000 milliards ont été désinvestis de fonds actifs pour être réinjectés dans des solutions passives ces dix dernières années. D’après la société de courtage Sanford Bernstein, d’ici janvier 2018, plus de la moitié des actifs en actions sous gestion aux États-Unis seront investis dans des fonds passifs. Ce chiffre atteint 38% pour les actions mondiales.

Pour étayer leurs arguments, les partisans de la gestion passive font appel au bon sens et s’appuient sur des travaux de recherche. Selon cette logique, sur les marchés actuels, un réseau d’informations mondial hyper efficient réduit les erreurs de valorisation des actifs financiers. Grâce à Internet et aux autorités de régulation, des informations sensibles susceptibles d’influencer les cours boursiers sont mises à la disposition de tous les investisseurs simultanément. Dans ce contexte, quelle est la valeur ajoutée des investisseurs actifs ? Ceux qui surperforment certaines années ne parviennent pas à adapter leur style de gestion (par exemple pour passer du style « valeur » à celui de la « croissance ») pour répondre aux nouvelles conditions de marché et sous-performent donc sous une nouvelle ère. Une étude de S&P Dow Jones Indices publiée en 2016 a montré qu’environ 90% des sociétés pratiquant la gestion active n’étaient pas parvenues à faire mieux que leur indice de référence par rapport aux périodes précédentes d’un an, de cinq ans et de dix ans, les frais de gestion expliquant une bonne partie de la sous-performance.


Gestion active : l’investissement intelligent ?

Les investisseurs actifs, pour leur part, avancent naturellement des arguments solides en faveur d’une approche différente. La période qui s’est écoulée depuis la crise financière mondiale a été marquée par une surperformance exceptionnelle des plus grandes capitalisations boursières du plus important et plus liquide marché du monde, les Etats-Unis. Entre 2000 et 2008, c’est l’inverse qui fut souvent observé, à savoir une performance soutenue des valeurs de petite capitalisation, ainsi que de très bons résultats réalisés par un grand nombre de gérants actifs.

Ainsi, les investisseurs actifs s’interrogent : sur le long terme, préférez-vous sélectionner les sociétés dans lesquelles vous investissez sur la base de leur leadership, de leur bilan, de leur gamme de produits et de services ou plutôt sur la base de leur pondération dans un indice ? La gestion passive peut donner lieu à une mauvaise allocation du capital -   l’exposition aux valeurs boursières s’effectue davantage en fonction de leur capitalisation qu’en raison de leurs fondamentaux. De larges volumes de capitaux affectés à un indice peuvent créer des marchés moins efficients, où les valorisations de sociétés sont négligées. La gouvernance est alors reléguée au second plan. Dans ce contexte, qui pourra analyser et reconnaître la véritable innovation d’une entreprise donnée ? Qui pourra remettre en cause son positionnement éthique ou la rémunération de ses dirigeants ? Les investisseurs cherchent désormais à construire une allocation d’actifs plus cohérente avec les valeurs qui les animent. Les gérants actifs sont ainsi les mieux placés pour les conseiller en matière d’investissement socialement responsable et d’impact investing.

Certains investisseurs actifs sont allés plus loin : ils ont qualifié d’« armes de destruction massive» les investissements passifs, lesquels seraient à l’origine d’une bulle des prix des actifs. Les flux massifs qui ont été investis dans les ETF ces dernières années ont altéré les cours boursiers, avancent-ils. La performance reflète désormais davantage la progression des multiples que la croissance des bénéfices. Les flux des ETF ont créé des marchés déconnectés des fondamentaux sous-jacents, qui évoluent séparément. Les grandes capitalisations sont désormais surévaluées, le risque systémique a augmenté et les marchés sont plus vulnérables aux reculs massifs. Cette nouvelle donne, dominée par d’importants flux « aveugles » entrants et sortants des investissements liquides, n’a pas été mise à l’épreuve en période de forte récession.


Briser les mythes

Nous ne partageons pas cette idée de clivage entre la gestion active et la gestion passive. Le monde de l’investissement n’est ni blanc ni noir. Faire un raccourci extrême peut être dangereux. Pire encore, ces arguments fréquemment cités sont susceptibles d’induire les investisseurs en erreur :

Les investissements passifs sont des outils simples. « Quoi de plus simple que de répliquer un indice ? » pourrait-on penser. Souvent, les investisseurs ne parviennent pas à analyser les investissements passifs comme ils le feraient pour les investissements actifs. Cependant, ceux qui cherchent à comprendre comment un ETF réplique un indice illiquide, ne tardent pas à y voir différents niveaux de complexité. Les ETF à réplication physique détiennent un panier de placements qui répliquent l’indice. Les ETF à réplication synthétique répliquent l’indice au moyen de dérivés financiers (les swaps) et paient des frais de swap en échange de rendements similaires à ceux de l’indice. Dans les deux cas, seul un processus de gestion sophistiqué garantira des rendements alignés au plus près à l’indice de référence.

En parallèle, les investisseurs qui voient en la réplication d’un indice une solution de construction de portefeuille simple oublient souvent de se poser une question pourtant élémentaire : l’indice répond-il réellement à leurs besoins ? Un indice est défini par une série de règles ne tenant pas compte des contraintes, des objectifs ou de la propension au risque d’un investisseur. De nombreux indices ne sont pas construits pour maximiser la performance ajustée au risque. Un investissement passif peut éventuellement surclasser un indice, mais il ne parviendra pas à remplir les objectifs particuliers d’un investisseur. Aucun ETF ne saura répliquer l’expertise d’une banque privée pour déployer des solutions sur mesure adaptées à chaque client et générant des rendements nets d’impôts efficients.

Les investissements passifs sont tous assortis d’un faible niveau de risque et de coûts transparents. Les gérants indiciels ont incontestablement tiré parti de la technologie pour produire une large gamme d’investissements à faible coût et à échelle variable. Beaucoup sont des instruments extrêmement efficients, très liquides et facilement négociables. Cependant, il peut s’avérer difficile pour les investisseurs d’en saisir la structure, les risques et les coûts véritables. Les fournisseurs d’ETF à réplication physique peuvent prêter les titres sous-jacents pour générer des revenus supplémentaires et ainsi réduire le coût final de l’investissement. En ce qui concerne les ETF à réplication synthétique, la contrepartie pourra éventuellement procéder de la sorte, dans ce cas au moyen du renforcement d’un swap (qui remplira une fonction similaire). Ces deux opérations sont susceptibles d’entraîner une perte de capital pour les investisseurs en cas de crise.

Le ratio du total des frais sur encours (TFE ou TER total expense ratio) habituellement mentionné pour le coût d’un investissement actif n’est pas suffisamment représentatif pour un ETF. Comme pour les frais de gestion inclus dans le TFE, les fournisseurs d’ETF appliquent également des frais de gestion et de courtage en plus des coûts de transaction pour les ETF à réplication physique (ainsi que des frais liés aux opérations de swap dans le cas des ETF à réplication synthétique), ce qui ne figure pas habituellement dans les factsheets de ces instruments financiers.. Ces frais réduisent la performance de l’investissement. Les frais de transaction peuvent augmenter si le panier s’écarte de la valeur de l’actif net de l’indice de référence. Les frais totaux ont atteint 93 points de base (pb) pour un ETF à réplication physique dans un exemple que nous avons calculé (contre un TFE de 20 pb), et 132 points de base pour un ETF à réplication synthétique (contre un TFE de 68 pb).


Suivre une approche pragmatique

De nombreux prestataires de services d’investissement recommandent des solutions passives par commodité, car ils manquent de ressources pour fournir des conseils en gestion plus pointus. Nous avons développé d’importantes capacités d’investissement en interne, car nous croyons que notre recherche et notre expertise représentent une valeur ajoutée pour nos clients. Cela nous permet de pouvoir recommander soit une approche active ou passive, en toute liberté. Notre priorité consiste à générer les meilleures performances ajustées au risque, après imputation des frais de gestion, sans préférence préétablie pour l’une ou l’autre. Nous avons habituellement recours aux deux solutions, souvent selon des approches qui bousculent les schémas de pensée traditionnels.

Obligations : l’approche d’experts. Les indices obligataires pondérés en fonction de la capitalisation boursière favorisent habituellement les emprunteurs les plus endettés. Nous recommandons donc aux investisseurs de suivre nos propres indices de référence, pondérés en faveur d’émetteurs de meilleure qualité et dont l’exposition sectorielle et géographique est analogue. Par ailleurs, nous recommandons des approches actives. Les marchés obligataires sont fortement influencés par des acteurs comme les banques centrales, les fonds de pension, les fonds souverains et les compagnies d’assurance, dont l’objectif principal n’est pas de générer un rendement excédentaire, laissant ainsi de nombreuses opportunités aux investisseurs actifs de tirer parti des inefficiences de marché.

Actions : une perspective anticonformiste. Nous avons recours à des fonds actifs pour investir dans des sociétés possédant des fondamentaux solides et aux méthodes d’investissement passives pour tirer profit de la performance du marché sous-jacent. Au début du cycle économique, nous pourrions viser une exposition passive sans privilégier des secteurs ou des titres en particulier. En revanche, sur les marchés américains matures actuels, nous pourrions employer des fonds actions à gestion active pour séparer les « gagnants » des « perdants », reflétant la domination des sociétés technologiques comme Apple et Facebook et saisissant la performance des petites capitalisations qui n’entrent pas dans la composition des grands indices. C’est prendre à contrepied l’approche conventionnelle qui consiste à faire appel aux fonds indiciels pour les grands marchés « efficients ».

Intégrer les distorsions du marché et de la prédominance de la « gestion passive massive ». L’essor des investissements passifs a coïncidé avec une période d’interventionnisme des banques centrales sans précédent. Après la crise financière mondiale, les taux d’intérêt au plus bas et les programmes de rachats d’actifs ont abaissé le coût du capital de façon artificielle, fait office de planche de salut pour les entreprises affaiblies, récompensé l’endettement et fait abstraction de mauvaises décisions d’investissement. Le contexte de faibles rendements est à l’origine de primes élevées pour les valeurs boursières qui versent des dividendes. L’incapacité des investisseurs actifs à surperformer a donné naissance à un momentum qui se réalise et perpétue de lui-même sur les marchés: les investisseurs se reportant sur les fonds indiciels sont plus nombreux, les corrélations transversales ont augmenté et la dispersion entre les valeurs diminue. Alors que les banques centrales procèdent au retrait de ces programmes, nous pensons que les corrélations entre les prix des actifs vont diminuer et les occasions pour les gérants actifs se multiplier.

Si l’on admet que les flux des investissements actifs vers les investissements passifs ont modifié les marchés, les investisseurs actifs pourraient bénéficier à l’avenir de la « normalisation » cyclique de ces distorsions. Dans l’éventualité où l’essor des ETF se poursuivrait, ceux exploitant les erreurs de valorisation se feraient plus rares que jamais. Les investisseurs qui se voueraient à l’utilisation seule de la gestion passive pourraient ainsi devenir les plus grands perdants de la prochaine correction majeure des marchés.

 

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