Par Cyril Tramon, Président fondateur de WeShareBonds, plateforme de financement participatif à destination des PME
Une économie en bonne santé est la somme d’ingrédients incontournables, parmi lesquels la libéralisation des échanges et la propension des épargnants à investir dans des entreprises diverses, et donc à accepter une certaine dose de risques. En la matière, force est de reconnaître que nos institutions sont absolument schizophrènes. Si elles appellent de leurs vœux une croissance basée sur la circulation des flux monétaires, elles interdisent à des milliers de personnes l’accès à des outils de gestion de patrimoine qui contribueraient à leur enrichissement, et, parallèlement, au développement des entreprises financées. Il en est ainsi du fonds de crédit, symptomatique d’un manque d’éducation généralisé sur l’épargne.
Un frémissement vers une épargne plus dynamique
C’est bien connu, les Français sont assez peu enclins au risque. Pire : sur la scène européenne, ils endossent le bonnet d’âne de l’investissement, affectionnant par-dessus tout le livret A et l’assurance-vie. Pourtant, les mentalités évoluent. Nos épargnants s’ouvrent à de nouvelles manières de gérer leur patrimoine et injectent des liquidités dans l’économie réelle. Ils sont de plus en plus demandeurs : ainsi, en 2016, 233 M€ ont été collectés via les plateformes de crowdfunding en France, soit une progression de 40% par rapport à 2015 (46% pour le crowdlending). Cela s’explique en partie par un assouplissement de la règlementation en matière de prêt aux entreprises. Les barrières qui éloignent le particulier de la reprise en main de son épargne s’effondrent les unes après les autres. Mais une résiste encore et toujours à ce vent de libéralisation : le fonds de crédit, un outil permettant de diversifier facilement ses prêts aux entreprises.
L’épargnant honteusement infantilisé
Les fonds de crédit sont des outils pré-packagés qui permettent à l’investisseur, détenteur d’une part de fonds, d’affecter directement son argent dans un « lot » d’entreprises au lieu d’étudier un à un les projets dans lesquels il veut investir. D’une part, le risque est dilué puisque le particulier investit automatiquement son épargne sur plusieurs dizaines d’entreprises. D’autre part, les particuliers non experts en finance n’ont pas à décrypter des dizaines de lignes de compte. De fait, le fonds de crédit est parfait pour les profils non connaisseurs, mais désireux de faire fructifier leur épargne en investissant dans les PME françaises.
Le problème ? Cette possibilité n’est offerte qu’à un club restreint d’experts, alors même qu’elle répond parfaitement aux besoins des « amateurs » qu’on prétend protéger ! Ainsi, pour investir dans un fonds de crédit en tant que personne physique, il faut être qualifié de « client professionnel » par le régulateur, c’est-à-dire remplir au moins 2 des 3 conditions suivantes :
- posséder plus de 500 000€ de patrimoine financier ;
- avoir occupé pendant au moins 1 an, dans le secteur financier, une position professionnelle exigeant une connaissance de l'investissement ; et
- réaliser a minima 10 opérations financières par trimestre, de 600€ minimum chacune, sur les 4 derniers trimestres.
L’épargnant est en droit de s’élever contre cette disposition qui lui ferme l’accès à cet outil de diversification, et ne lui laisse que la possibilité de prêter entreprise par entreprise, et d’être seul responsable de sa diversification. Dès lors que le « client professionnel » a le droit de bénéficier d’un produit présentant ces avantages, comment comprendre que le particulier s’en est vu retirer l’opportunité ? Dès lors que le particulier a le droit de posséder et de tirer profit de ce qu’il possède, comment comprendre ces dispositions restrictives prises « pour le bien » de personnes a priori vulnérables, mais qui ne bénéficient pourtant pas de plus d’accompagnement en échange des restrictions qui leurs sont imposées ? Pourquoi les fonds de crédit ne seraient-ils réservés qu’à une élite ?
Protéger les individus en leur redonnant le pouvoir sur leur épargne
A l’heure du digital, il est impensable que l’on ne puisse pas se donner les moyens d’informer, et de former, les particuliers sur les risques inhérents aux produits d’investissement qui leur sont proposés. Dotés d’un bagage minimum de connaissances sur les produits financiers du marché, seraient-ils moins méritants, moins « sachants » que certains « clients professionnels » ne remplissant que de simples critères de patrimoine financier et de volume d’investissement ? Ne pourraient-ils bénéficier d’un accès universel aux produits de placement les plus intéressants, assorti d’une obligation de conseil des institutions ou services financiers proposant ces produits ?
Heureusement, il existe des dispositifs qui pallient les insuffisances actuelles. WeShareBonds, par exemple, a créé WeBot, un robot qui aide les particuliers à construire un portefeuille diversifié en fonction de leurs préférences et de leur profil. Mais l’idéal serait une réorientation de la règlementation compatible avec la protection des individus, et la diffusion de l’information. Autrement dit, élargir les possibilités offertes aux épargnants, mais, du côté des acteurs financiers, généraliser les prestations de conseil.
La pérennité du marché de l’investissement implique en effet un haut niveau d’exigence : étudier le profil de l’épargnant pour lui proposer les offres les plus adaptées, s’assurer qu’il détient un portefeuille diversifié et qu’il fait des choix en connaissance de cause. La plus grande transparence est donc de mise : les acteurs financiers doivent mettre à disposition de leurs clients tous les moyens possibles pour qu’ils soient en mesure d’évaluer leur prise de risque. A cette condition, acteurs publics et privés seront aptes à remédier, de concert, à l’injustice des fonds de crédit.
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