Analyse de Gilles Frisch, Responsable de la gestion High Yield chez Swiss Life AM.
L’évolution de la structure du système bancaire au cours des dernières années, l’influence des politiques monétaires des banques centrales et l’avènement du cadre prudentiel MIFID 2 font évoluer le régime de liquidité des marchés obligataires.
Du fait notamment des restrictions imposées aux banques dans la restructuration de leurs activités post-crise, leur capacité à jouer un rôle de market-making, à injecter des liquidités et animer les marchés obligataires a sensiblement diminué. « Au global, il y a aujourd’hui dix fois moins de liquidité qu’avant la crise sur les marchés obligataires », constate Gilles Frisch.
La liquidité devient…volatile !
Autre enseignement important, la liquidité des actifs de taux se fait de plus en plus « volatile ». Par leurs politiques monétaires non conventionnelles des dernières années, les banques centrales ont garanti un afflux massif de liquidités sur les marchés, « même quand les marchés n’en avaient pas fondamentalement besoin », nuance Gilles Frisch. Maintenant que les banques centrales sortent graduellement de leurs politiques ultra-accommodantes, la liquidité va se réduire. Car avec moins de soutien des banques centrales, les acheteurs seront moins nombreux. « Nous nous attendons à voir les investisseurs les plus contraints par le cadre prudentiel, réduire leur exposition au segment High Yield européen noté ‘BB’ », anticipe-t-il.
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Une approche active du risque de liquidité, source de performance
Pour faire face à cette raréfaction, l’une des réponses en termes de gestion obligataire est d’être plus actif sur le marché primaire. « Celui-ci offre un bon compromis entre recherche d’opportunités de rendement et maintien de niveaux élevés d’actifs liquides » estime Gilles Frisch. L’équipe de Swiss Life AM recommande aussi de diversifier les contreparties en recourant aux plateformes d’échanges de titres. Une telle approche permet aux gérants d’actifs de trouver de la liquidité directement auprès d’autres investisseurs. De plus, la diversification géographique de l’allocation obligataire reste évidemment, elle aussi, primordiale. « Diversifier géographiquement les investissements en exposant les portefeuilles aux marchés High Yield américain et européen, permet de bénéficier de cycles économiques différents, parfois désynchronisés. C’est ce que nous mettons en œuvre chez Swiss Life AM ».
« Enfin, la volatilité de la liquidité peut être gérée au sein des fonds avec une poche de cash de taille variable. Nous détenons dans nos portefeuilles jusqu’à 20% de cash et avons la discipline de maintenir cette poche à ce niveau pendant plusieurs mois, voire plusieurs trimestres tant que nous ne trouverons pas de nouvelles opportunités d’investissement. Ce volant de liquidité peut nous aider aussi à bien gérer les souscriptions / rachats dans nos fonds », ajoute Gilles Frisch.
MIFID 2 : un impact supplémentaire sur la liquidité ?
Par ailleurs, les dispositions de MIFID 2 sur le financement de la recherche et l’exécution des ordres, qui entreront en application au début de l’année 2018, auront également un impact sur la liquidité. Avec des contraintes en particulier pour les market makers que sont les banques et les brokers. Du fait de la distinction, imposée par la directive, entre le coût de la recherche, jusqu’ici offerte, et le coût de l’exécution des ordres, les investisseurs devront désormais assumer aussi celui de la recherche. « Dans les faits, la plupart des sociétés de gestion supporteront directement ces coûts ». Jusqu’ici habitués à proposer une recherche gratuite à leurs clients, gérants d’actifs, afin d’attirer des flux d’exécution (qui rentabilisaient à eux seuls le coût de la recherche), les banques et les brokers de marché indépendants devront réviser leur modèle sous MIFID 2.
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Un modèle de market making en mutation
Cette typologie d’acteurs - une vingtaine de banques et une cinquantaine de brokers - ne pourra plus utiliser la recherche comme produit d’appel. Ils devront s’adapter en faisant désormais payer la recherche, ce qui est difficile à imposer, ou en évoluant exclusivement vers de l’exécution d’ordre, sans recherche. « Or, les traders de ces banques et les brokers ont eux-mêmes besoin d’analyse, de recherche, pour suivre les positions de leur book. La ségrégation de la recherche risque de faire disparaître une bonne partie de ces acteurs qui apportaient de la liquidité au marché, in fine celle-ci pourrait subir un choc ».
Un choc de liquidité sous MIFID 2 rebattrait donc les cartes pour le marché obligataire, qui devrait se trouver un nouveau modèle. « Ce choc est loin d’être irréversible. Il est probable que de nouvelles tendances émergent pour pallier la baisse de liquidité provoquée par MIFID2. Le recours aux plateformes buy-side/buy-side va se développer, celles-ci vont se substituer de plus en plus aux brokers. Elles fourniront au marché la liquidité que ne peut plus leur apporter les acteurs traditionnels du market-making », conclut Gilles Frisch.