Le mois dernier, nous nous sommes intéressés à l’électromobilité et, ce mois-ci, le docteur Leber, fondateur d’ACATIS, société de gestion indépendante allemande, nous parle des marchés financiers.
Il est toujours passionnant de voir deux ou trois évolutions fortes se rencontrer et se renforcer. Charlie Munger nomme cela les effets Lollapalooza. Pour les marchés financiers, ce sont les thèmes :
- des robo-advisors,
- de l’intelligence artificielle et
- de la blockchain.
Que se passe-t-il lorsque ces trois tendances se réunissent dans un même produit ?
Imaginons un petit créateur de logiciels en Californie qui conçoit une application à partir de ces trois éléments. Ses développeurs peuvent être des utilisateurs actifs de Gurufocus, Motley Fool ou The Street. Une application mène l’utilisateur à son profil d’investisseur grâce à quelques questions. A l’aide d’un outil de sélection d’actions, ce profil utilise les données de Gurufocus et construit un portefeuille modèle. Les intentions d'achat qui en résultent ne sont pas acheminées vers une banque, un courtier ou une bourse mais vers une place de marché virtuelle qui utilise la blockchain pour les règlements. Peut-être qu’un courtier bienveillant alimentera ces ordres d’achat avec des actions et recevra des bitcoins en échange. La revente ultérieure de ces titres se fait auprès d’autres utilisateurs blockchain qui permettent de perpétuer la chaîne des détenteurs sans maillon manquant.
Un tel modèle est aujourd’hui techniquement possible. Il manque peut-être encore quelques petits éléments. Et maintenant les questions déterminantes :
- A quel niveau y-a-t-il encore ici une banque en jeu ?
- A quel niveau y-a-t-il encore ici une autorité prudentielle qui surveille les opérations ?
- A quel niveau une banque centrale est-elle encore ici aux commandes ?
- A quel niveau une bourse est-elle ici encore impliquée ?
- Qui gagne encore de l’argent dans tout cela ?
Comprendre l'économie durable pour s'y investir
Libéré des structures traditionnelles, un univers boursier parallèle peut émerger au sein duquel personne ne gagne plus rien, qui ne soit plus contrôlé par qui que ce soit et qui, pourtant, peut être très sûr. Le magazine The Economist a récemment écrit dans un article qu’il y a des divergences entre les balances commerciales et les flux de transactions de paiements entre la Chine et quelques pays asiatiques. L’explication donnée était que de nombreuses exportations chinoises se composent d’une transaction officielle à un prix peu élevé et d’une transaction inofficielle à un prix supérieur. On peut imaginer qu’à l’avenir de tels paiements seront traités par bitcoin et blockchain et qu'un système de paiement parallèle émergera. Pouvoir, dans ce monde parallèle, effectuer des virements, acheter des actions et octroyer des crédits, donne naissance à un marché financier sans régulation. Dès lors qu’une telle évolution est techniquement possible et représente un avantage économique, elle finit par se réaliser.
Naturellement, à côté de ce système de l’ombre, il existe de nombreuses évolutions officielles : la DTCC (Depository Trust Clearing Corporation), qui est le premier opérateur mondial des transactions CDS, vérifie l’utilisation de la blockchain pour les activités de règlement-livraison (il n'est pas là question de montants en milliards mais en billions). La bourse chilienne réfléchit à une utilisation de la blockchain pour les opérations de prêts-emprunts de valeurs mobilières. La compagnie maritime Maersk envisage de recourir à la blockchain pour la comptabilisation des containers. Les chaînes de distribution alimentaire envisagent la blockchain pour assurer de bout en bout la traçabilité de l’origine des denrées alimentaires. (Les sources d’informations sont IBM Blockchain et le projet Hyperledger).
Il faut nous faire à l’évidence, nous allons assister à des transformations radicales des systèmes d’entreprises traditionnels. Il n’existe que peu de possibilités d’y participer. C’est justement parce qu’il existe de tels systèmes, si justes, si transparents et si bon marché que pratiquement aucun fournisseur de service n’en profite. Au lieu de cela, les anciens modèles commerciaux deviennent superflus et nous devrions les éviter.