Engagement actionnarial ou activisme - l’exercice de qualification est loin d’être une nuance.
En 2010, JP Jouyet président de l’AMF déclarait : « La France reste le Far West en matière de prises de contrôle ». De fait, bien des coups étaient permis pour éviter de tomber sous le contrôle d’investisseurs non désirés lors d’OPA hostiles, nous évoquerons ce sujet dans une autre de nos Tribunes. Mais il soulevait aussi l’influence relative d’actionnaires minoritaires dans la gouvernance de la société qui usant des dispositifs légaux à leur disposition gagnent un pouvoir indirect parfois disproportionné aux titres détenus : les activistes. L’engagement de ces actionnaires (“shareholder activism“), répandu aux États-Unis, connaît une certaine montée en puissance. Ces activistes n’ont pas les mêmes postures, ni les mêmes objectifs et n’utilisent pas les mêmes méthodes, mais selon les circonstances.
On est loin du Far West, mais selon le professeur Viviane de Beaufort, Directrice du Centre Européen de droit et d'économie (CEDE) et Professeur à l’ESSEC Business School, quelques coups de feu s’échangent désormais !
En parodiant un célèbre « western » où l’enjeu est la quête de pouvoir: « Le bon, la brute le truand », nous distinguerons 3 grandes catégories d'activités.
1/ L’investisseur institutionnel : « le bon »
Avec une vision de long terme, l’investisseur institutionnel cherche à corriger ce qui constitue des défaillances de l’entreprise. Il ne vise pas à contrôler le management de l’entreprise, ni à maximiser à court terme la valeur actionnariale, mais à asseoir une légitimité sociale et à être un acteur socialement responsable. Les moteurs de cet activiste sont assurer une meilleure qualité de gouvernance pour permettre une stratégie pérenne de la société. Sensibles aux enjeux éthiques, l’investisseur institutionnel aura tendance à moins s’investir dès lors qu’il existe un risque de viol des règles légales. Il est aussi sur les rangs désormais en matière d’exigences RSE.
L’investisseur institutionnel privilégie un contact direct voire la sortie plutôt qu’un activisme agressif. Il rencontre directement les dirigeants en mode off et travaille avec la direction pour obtenir des changements à travers la discussion (« the voice »). Ainsi, Vanguard et Blackrock, favorisent l’engagement par des discussions en interne avec la direction, évitant ainsi de lui adresser des directives publiques. Mais ils peuvent aussi menacer de quitter la société et le faire (« the exit »). Le fonds souverain norvégien a, par exemple, désinvestit cette année dans plusieurs sociétés dont il estimait que la gouvernance n’était pas à la hauteur. L’investisseur institutionnel a recours aux conseillers en vote (proxies). Le but des recommandations de vote est de l’aider à débroussailler les questions. On citera la CDC acteur majeur en France, qui cisèle sa politique de vote avec un comité de gouvernance, débat, utilise les services de Proxinvest et d’ISS et tend à rencontrer les acteurs avant les AG afin de convaincre.
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2/ Le Hedge fund ou « la brute » ?
L’arrivée des fonds spéculatifs ou « hedge funds » dans les années 90 s’est amplifiée : leur nombre et leur force de frappe ont augmenté de façon spectaculaire: depuis 2003, plus de 275 nouveaux fonds de pension activistes créés et les actifs sous gestion de ces fonds passés de 3 Mds$ en 2000 à 100 en 2014 et 200 Mds$ en 2017 dont une soixantaine investis en Europe. De quoi leur donner des moyens de pression, sur des sociétés. Les hedge funds prennent des participations au sein d’une entreprise pour pouvoir restructurer ses actifs, changer sa structure de gouvernance, ou sa politique de distribution de flux financiers. Ils peuvent aussi vouloir réduire ses coûts, l’idée étant de récupérer un bénéfice maximisé à court terme.
Les hedge funds cherchent à obtenir un changement significatif dans la stratégie de la société, et peuvent employer la force. Pershing Square Capital a ainsi fait pression sur les Chemins de fer Canadien Pacifique en 2012 pour faire élire sa liste de candidats au conseil, Jana Partners a lancé une course aux procurations pour obtenir d’Agrium un changement au sein du conseil d’administration. Des travaux établissent que les entreprises ciblées par les fonds activistes ont un taux de pérennité moins élevé que la moyenne : 63% au bout de quatre ans contre 84%. Il est reproché aux hedge funds de s’intéresser peu à l’activité opérationnelle, et d’intervenir par le biais de manœuvres financières, qui tendent à fragiliser l’entreprise, si elle venait à se retrouver dans une conjoncture économique difficile. Ainsi, en août 2013, l’hedge fund activiste britannique The Children's Investment Fund (TCI) qui disait détenir plus de 1% du capital d'EADS a écrit à Tom Enders, le président exécutif, pour lui demander de céder dès que possible sa participation dans Dassault Aviation :" Vous avez affirmé avec insistance qu'EADS était à présent une entreprise « normale », recherchant les profits et l'intérêt des actionnaires privés".Pourtant, d’autres auteurs tels que Fabrice Rémon, disent à contrario que cet activisme a du bon car il secoue l’entreprise. Par ailleurs les méthodes de « cow-boy » deviennent plus rares, un dialogue s’instaurant avec la direction en place selon Paul Rose et Bernard S. Sharfman.
3/ Les autres catégories d’actionnaires dont les minoritaires seraient alors « les truands » ?
Exagéré de qualifier de ‘truand’ des actionnaires ? Pas de 1er degré ici, nous jouons un western et il apparaît bien que ces derniers acquièrent parfois une influence disproportionnée par rapport à leur détention de titres. Sont visés ici des acteurs bien différents :
- les actionnaires individuels ;
- les détenteurs de bloc minoritaire non-contrôlant tels que les gestionnaires d’actifs et fonds de pension ;
- les ONG qui agissent aussi parfois ;
- les syndicats et des acteurs du milieu associatif ;
- les agences de conseils en vote également qui en France ont un rôle particulier.
Point commun de ces actionnaires : leur position d’actionnaire minoritaire ou d’extérieur et les méthodes qu’ils peuvent utiliser, liées aux droits des minoritaires. Mais ils ont des objectifs extrêmement divers : l’actionnaire individuel attaché à l’entreprise aura souvent un intérêt pour la prospérité à long terme de celle-ci et non son rendement immédiat. Citons ainsi, la préoccupation d’un actionnaire lors de l’AG d’Air Liquide 2016, qui demande s’il « Est judicieux d’effectuer de verser le dividende en numéraire alors que le Groupe doit financer l’acquisition d’Airgas ? ».
Parfois, et ce phénomène monte et fera l’objet d’une autre tribune, l’intervention est sociétale. Ainsi sur la mixité, l’Association Française des Femmes Juristes a organisé dans les AG du CAC 40 en 2015 une prise de parole. Des ONG commencent aussi à intervenir: ainsi, Les Amis de la terre vigilante en matière de réchauffement climatique, qui lors de l’AG 2016 d’Axa a demandé « quel est le seuil déterminé pour désinvestir des sociétés les plus impliquées dans les activités en lien avec le charbon ? »
Des armes légales
Parmi les armes utilisées, les questions écrites et orales en assemblée générale et les résolutions dites externes. Ainsi, PS AM 0,8% du capital de Vivendi, dépose au printemps 2015, une résolution sur la distribution d’un dividende exceptionnel d’un montant de 9 Mds€. Le 8 avril 2015, le montant des dividendes distribués passe de 5,7 Mds€ à 6,75 Mds€ contre un retrait de la résolution.
D'autres techniques commencent à être utilisées hors AG : dénonciations à l'AMF, le shérif de la Bourse, protestations sur le web, actions contentieuses. La saison des AG 2017 commencée s'avère houleuse. A suivre
Comprendre l'économie durable pour s'y investir