Par Christopher Dembik,Responsable Recherche macroéconomique chez Saxo Bank
L’effet Trump est une bulle spéculative et, comme toute bulle, elle va finir par éclater lorsque les investisseurs réaliseront que le nouveau président américain n’est pas en mesure de respecter ses engagements. Jusqu’à présent, l’effet immédiat le plus visible de sa victoire est la hausse des taux d’intérêt (+50 pts de base sur le 10 ans américain depuis le 8 novembre). Les investisseurs ont déjà anticipé que la politique économique de Trump sera inflationniste. En revanche, l’optimisme qu’on constate sur le marché ne se justifie pas au regard de la volonté protectionniste réaffirmée par le nouveau président à l’occasion de son discours d’investiture ("Nous devons protéger nos frontières des ravages des autres pays produisant nos biens, volant nos entreprises et détruisant nos emplois"..."Acheter Américain, embaucher Américain"). Le retour à la réalité pourrait être brutal pour les marchés puisque, dans un cadre mondialisé, le protectionnisme sera irrémédiablement perdant pour le pays qui le met en pratique à grande échelle.
1/ L’économie américaine n’a pas vraiment besoin de Trump
La première question qu’il convient de se poser est de savoir si l’économie américaine a réellement besoin de Trump. Le bilan économique des années Obama est dans l’ensemble positif :
- Les indicateurs économiques sont au beau fixe : Barack Obama et Janet Yellen laissent une économie en bonne santé et, à maints égards, plus solide qu’avant 2008, en particulier en ce qui concerne le secteur bancaire. L’indice de surprise économique de Citi (ci-joint) abonde dans ce sens puisque les statistiques au T4 2016 et en ce début d’année sont nettement meilleures que prévu par le consensus.
- Le marché du travail a tourné la page de la crise : Sur les deux dernières années, le marché du travail a créé 4,9 millions d’emplois, aboutissant à un taux de chômage de 4,7%. Les revendications chômage (moyenne mobile sur quatre semaines) sont à un point bas depuis 1973 comme l’indique le graphique ci-joint. Même pour les segments de la population plus touchés par la précarité, on observe une nette amélioration ces derniers mois. Ainsi, le pourcentage d’Américains âgés entre 25 et 34 ans n’ayant pas d’emploi a chuté en fin d’année 2016 sous 22%, une première depuis septembre 2008. En revanche, malgré une amélioration récente, le taux de participation reste encore faible (62,7% en décembre), ce qui permet de dire que l’économie américaine n’est certainement pas encore réellement au plein-emploi mais ça ne saurait tarder.
- La « bonne » inflation est de retour : Contrairement à la zone euro, la hausse de l’inflation ne résulte pas uniquement de l’augmentation des prix de l’énergie mais aussi de la hausse du salaire moyen (+0,4 en décembre) qui est liée à la difficulté pour les employeurs de trouver du personnel qualifié. Progressivement, le rapport de force employeur-employé tourne en faveur des employés, ce qui constitue un signal plutôt positif. En particulier, la hausse de l’inflation (2% possible en 2017) pourrait atténuer le problème de l’endettement des ménages aux Etats-Unis (qui représente environ 12 290 milliards USD) et réduire les risques liés à la bulle des prêts étudiants (plus de 1230 milliards USD selon la Fed).
En revanche, l’échec économique d’Obama réside dans son incapacité à réduire l’accroissement des inégalités, ce qui a servi directement le candidat Trump. En effet, la part de revenus détenus par les 1% les plus riches est de nouveau à son niveau de la fin des années 30 (autour de 17%) alors qu’elle n’avait cessé de refluer du milieu des années 20 au milieu des années 70.
Les mesures économiques proposées par Trump ne sont pas à même de s’attaquer à cette question des inégalités, ce qui pourrait provoquer rapidement un ressentiment de la part de ses électeurs. Si on les décrypte dans le détail, seules deux mesures économiques ont grâce à nos yeux : le plan de relance et, dans une moindre mesure, la baisse des impôts.
Le plan de grands travaux de 1 500 Mds$ s’appuie sur le constat dressé par l’American Society of Civil Engineers selon lequel près de 3600 Mds$ sont nécessaires d’ici à 2020 dans le domaine des infrastructures pour les maintenir à niveau, certaines remontant à l’ère Eisenhower. Ce programme pourrait permettre d’accroître la productivité, qui reste un défi de long terme pour la croissance américaine, et d’allonger le cycle économique mais sa mise en œuvre n’est en rien garantie. Elle repose sur la bonne volonté du Congrès et du Parti Républicain.
Initialement, le président Trump envisageait de faire financer ces travaux intégralement par le secteur privé mais il a récemment infléchi son discours en plaidant aussi pour un recours à l’endettement en émettant des bons du Trésor à 50 ans et à 100 ans. Autant le Parti Républicain est sur la même ligne que le président concernant l’abrogation d’Obamacare, autant des frictions risquent d’émerger rapidement concernant ce programme qui va inévitablement accroître l’endettement américain. En ce sens, Paul Ryan, président Républicain de la Chambre des représentants, pourrait être le vrai leader de l’opposition pendant le premier mandat de Trump.
Le plan de baisse d’impôts est plus consensuel politiquement. Historiquement, les crédits d’impôts (comme ceux décidés en 2001 et en 2008) ont abouti à une hausse de la consommation, en particulier chez les plus pauvres et les ménages endettés. L’argent distribué est, en grande partie, entre 60 et 70% dépensés au cours des mois qui suivent. Le risque de thésaurisation est plutôt faible. La seule différence avec les périodes précédentes, c’est que cette mesure intervient hors période de crise donc on peut supposer qu’un part plus importante qu’en temps normal soit épargnée, surtout par les ménages appartenant à la classe moyenne.
2/ Une nouvelle ère de conflits
Le deuxième point qu’il convient d’évoquer est de s’interroger sur les relations qu’entretiendra Trump avec ses principaux interlocuteurs. Petit rappel utile pour le futur, la citation favorite de Trump dans la Bible est : « Œil pour œil, dent pour dent ». Il est quasiment certain que la présidence Trump va ouvrir une nouvelle ère de conflits, aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan extérieur. Le président américain est, avant tout, un homme d’affaires (et non pas un « fou » comme l’a qualifié un de mes collègues belges). C’est un opportuniste qui va privilégier des alliances de circonstance, un peu comme le fait la Chine, ce qui pourrait dans un premier temps beaucoup dérouter les partenaires européens des Etats-Unis.
En matière commerciale : Trump se pose en héraut du protectionnisme. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas une posture mais certainement une conviction de sa part puisque, déjà à la fin des années 80, il s’était exprimé publiquement contre les accords de libre-échange. Le protectionnisme est intrinsèquement lié à l’histoire politique américaine. Le développement économique du pays a reposé en grande partie sur le protectionnisme au 19ème siècle. De 1812 à 1849, le tarif douanier moyen est passé de 25 à 40% ce qui n’a pas empêché un fort accroissement de richesse. Le succès de l’expérience américaine s’explique en grande partie par la théorie de la taille des nations. Elle stipule qu’il y a des avantages à la grande taille d’un pays, reposant sur les économies d’échelle. Les entreprises nationales sont plus performantes si elles ont accès à un marché plus étendu, ce qui a permis le développement d’un secteur manufacturier très compétitif outre-Atlantique au 19ème siècle. Cependant, dans un monde globalisé, cette approche n’est désormais plus viable. Le protectionnisme équivaut à un impôt qui va être payé par le consommateur puisque les biens importés seront plus chers. Il est illusoire de croire qu’on puisse produire de A à Z un bien dans un pays développé comme les Etats-Unis sans que cela n’entraîne de surcoût par rapport à un bien similaire produit en partie dans les pays émergents à bas coût du travail.
Dans l’immédiat, Trump vise le Mexique qui est une cible facile puisque près de 80% des exportations du pays se dirigent vers les Etats-Unis mais la vraie cible du nouveau président est la Chine. Ce sera un adversaire beaucoup plus coriace. Un seul chiffre permet de comprendre le coût économique d’une guerre commerciale entre Pékin et Washington : la Chine et les pays exportant vers la Chine représentent environ 40% du PIB (3 100 Mds€). Pékin a deux leviers majeurs à actionner en cas d’attitude belliqueuse de la part des Etats-Unis :
1) décider d’acheter une quantité moins importante de bons du Trésor américain, ce qui entrainerait une hausse des taux et compliquerait la mise en œuvre du programme d’infrastructures de Trump ;
2) recourir en cas de litige commercial (par exemple hausse des barrières douanières) à l’Organisme de Règlement des Différends (ORD) de l’OMC. Ce serait un processus juridique long et fastidieux mais dont la décision serait contraignante pour les Etats-Unis et qui, en cas de non-respect, pourrait aboutir à la sortie du pays de l’organisation internationale ; un choix qui serait dangereux économiquement puisque l’OMC protège aujourd’hui les exportateurs américains.
En matière de politique monétaire : Le conflit entre Trump et Yellen n’est en rien inédit. Il suffit de se rappeler celui qui a opposé Carter à Burns à la fin des années 70 et qui a culminé par la non-reconduction de ce dernier à la tête de la banque centrale américaine. Il y a de nombreuses similitudes avec la situation actuelle : la rivalité avait commencé dès la campagne électorale et s’était cristallisée autour de l’indépendance de la Fed puis avait débouché sur une critique en ordre de la politique monétaire suivie, une fois Carter au pouvoir. Le conflit va certainement porter sur l’opportunité d’opter pour des taux d’intérêt élevés. La politique de grands travaux de Trump nécessite des taux relativement bas afin de garantir un taux de change compétitif et un coût de l’emprunt attractif. Cependant, l’optique de la Fed est clairement de relever les taux, peut-être même plus rapide qu’anticipé par le marché. Janet Yellen, mais également les candidats en course pour occuper les deux postes de gouverneur vacants (Glenn Hubbard, John Taylor dont on doit la fameuse règle portant son nom, et Kevin Warsh) ainsi que la rotation des votes des gouverneurs de province vont favoriser des taux plus hauts.
Le remplacement inévitable de Janet Yellen à la fin de son mandat en février 2018 ne garantit en rien que son successeur soit plus réceptif aux requêtes de la Maison Blanche. On peut donc craindre des tensions importantes et étalée sur la place publique entre la Fed et le président Trump au cours de son mandat, ce qui pourrait nuire à la communication auprès des marchés de la banque centrale, et potentiellement, à la bonne transmission de la politique monétaire.
L’impact sur la zone euro : Le consensus de marché qui domine de nos jours est que le différentiel de politique monétaire entre la Fed et la BCE va aboutir à un renforcement du dollar américain et à une baisse de l’euro. A court terme, on voit mal ce qui pourrait empêcher la hausse du dollar américain mais, à moyen terme, on peut douter que cette tendance va perdurer. En effet, la politique économique de Trump (même si elle est mise partiellement en œuvre) devrait conduire à une augmentation de l’endettement public couplée à un accroissement des tensions inflationnistes. Pour s’en sortir, les Etats-Unis n’auront pas d’autre choix que de déprécier leur monnaie dans le but d’exporter leur inflation vers leurs partenaires commerciaux. Ce n’est rien d’autre que ce qu’avaient fait Nixon au tournant des années 70 et Reagan au milieu des années 80 sous la pression des industriels américains. Pour la zone euro, cela devrait se traduire par un nouveau cycle haussier des taux d’intérêt, un renforcement de l’euro et une progression de l’inflation qui pénalisera directement le pouvoir d’achat des ménages, en particulier dans les pays à basse croissance comme la France. Dans ces conditions, la BCE sera contrainte de maintenir un biais accommodant plus longtemps que prévu ce qui pourrait conduire à un accroissement des tensions entre les soutiens de Draghi et l’Allemagne et ses alliés qui militent pour préparer le terrain à des mesures de sortie. Le risque Trump est élevé pour 2017 mais le risque bien plus grand, car négligé par les marchés financiers, est celui d’une crise ouverte au sein de la BCE sur la politique monétaire à suivre.
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