Alors que les atermoiements d’il y a encore à peine 48 heures laissaient sceptiques sur la capacité des pays de l’OPEP à trouver un accord, le cartel s’est finalement entendu pour respecter l’engagement pris lors de la réunion d’Alger fin septembre.
Que dit l’accord ?
Il prévoit à peu de choses près une réduction de 5% pour chacun des pays membres du cartel, par rapport à leurs chiffres de production d’octobre, tels que publiés par l’OPEP sur la base de sources secondaires. L’organisation a recours à des entreprises privées telles que les sociétés de négoce afin d’estimer la production de ses membres, et ce pour éviter toute suspicion sur les chiffres fournis par les gouvernements eux-mêmes. L’accord entrera en vigueur le 1er janvier 2017 pour 6 mois et sera reconductible pour 6 mois supplémentaires.
Les seules exceptions tolérées à cet accord sont le Nigeria et la Lybie en raison de la spécificité de leur situation actuelle (les deux pays sont loin de leurs niveaux de production habituels en raison de l’action de groupes rebelles pour le premier et d’instabilité politique pour le second) et l’Iran, qui est le seul à pouvoir poursuivre l’augmentation de sa production, conformément à l’accord d’Alger. L’Iraq se voit, pour sa part, attribuer un quota pour la première fois depuis les années 1990.
Enfin, notons que l’Indonésie ne participe pas à l’accord et que son appartenance au cartel est temporairement suspendue. Réintégré en janvier 2016, 7 ans après avoir quitté l’organisation, le pays est, au global, importateur net de pétrole et ne pouvait supporter une réduction de sa production.
L’accord contient par ailleurs deux autres points très importants car ils sont susceptibles de remettre en cause la totalité de l’accord.
Le premier indique que l’engagement pris par l’OPEP sera caduc si d’autres pays n’appartenant pas au cartel ne se joignent pas au mouvement de réduction engagé hier, en abaissant leur production d’au moins 600 000 barils par jour au total. Les membres ont indiqué que la Russie avait d’ores et déjà donné son accord sur une réduction de 300 000 barils par jour mais n’ont pas été plus précis sur les autres pays pouvant participer au mouvement. Oman a aussi donné son accord pour une réduction de 46 000 barils par jour. Le nom du Mexique a aussi été mentionné après la réunion, mais celui-ci a fait savoir hier soir qu’il ne prévoyait pas de nouvelles réductions de sa production. On parle également de l’Azerbaïdjan et du Kazakhstan, qui ont tous deux une entreprise nationale, ce qui rend plus facile l’implémentation d’une telle mesure.
Le deuxième point est la mise en place d’un comité de surveillance qui contrôlera le bon respect des quotas attribués à chacun. Cette commission est composée de l’Algérie, du Koweït et du Venezuela, et sera renforcée par deux pays non membres de l’OPEP ayant rejoint le processus de réduction.
Cet accord peut-il tenir ?
L’accord qui vient d’être signé est historique. En effet, il marque un retour en force de l’OPEP que certains annonçaient morte. C’est bel et bien le cartel qui fait la pluie et le beau temps sur le marché du pétrole et ses membres ont montré leur capacité à s’entendre quand leurs intérêts convergent.
Mais cet accord est avant tout une victoire pour l’Arabie Saoudite, premier producteur de l’organisation. En effet, le prince Mohammad Bin Salman (MBS) et son nouveau ministre du pétrole Khalid al Falih, tous deux en fonction depuis la mort du Roi début 2015, viennent de donner une magistrale leçon de diplomatie et de négociation au reste du monde. En maniant la carotte et le bâton, l’Arabie Saoudite a réussi à faire parler l’OPEP d’une seule voix.
Petit retour en arrière. Il y a encore deux mois, les pays producteurs du monde entier imploraient l’OPEP d’organiser une réunion et d’agir sur sa production de pétrole. L’Arabie Saoudite, d’abord peu favorable à l’initiative, a fini pardonner son accord à une telle réunion. Les discussions sont arrivées à la conclusion qu’il fallait réduire la production d’au moins 5% pour avoir un effet significatif sur le marché. La réduction a été entérinée, sans plus de précision sur qui allait prendre part à ce mouvement, même s’il était clair dès le début que le Nigéria, la Lybie et l’Iran bénéficieraient d’un régime spécial dans le cadre de cet accord.
C’est la carotte que l’Arabie Saoudite a donné à ses partenaires… Le marché, même s’il marquait un certain scepticisme sur l’implémentation de la mesure, a applaudi et les cours de l’or auront progressé de près de 15% en quelques jours. Les jours qui ont suivi ont vu certains pays membres du cartel s’exprimer les uns après les autres pour expliquer à quel point leur situation était spéciale et nécessitait une exemption.
Puis est venue la phase de négociation de ces derniers jours. Et après plusieurs jours de discussions où les points de vue semblaient irréconciliables, l’Arabie Saoudite a sorti le bâton et invité ses partenaires à raisonner en commerçants, dans le bon sens du terme. Le raisonnement proposé était sans doute assez simple et pouvait se résumer à deux options. La première consiste à mettre en œuvre le plan établi à Alger et que chacun y prenne sa part. Dans ce cas, l’Arabie Saoudite pouvait expliquer à chacun qu’ils ne vendraient certes plus que 95% de leur pétrole, mais pourraient espérer conserver les 15% de gains obtenus à l’issue delà réunion d’Alger.
Si tout le monde n’acceptait pas de jouer le jeu, et c’est la deuxième option, l’Arabie Saoudite a expliqué très clairement à ses partenaires qu’elle refuserait de réduire sa production. Ce qui amènerait l’ensemble des membres du cartel à conserver, certes, 100% de leur production, mais d’abandonner les 15% de hausse du marché liés à l’accord d’Alger. Simple et visiblement suffisant pour ramener tout le monde dans le droit chemin. Ainsi, tous les pays membres de l’OPEP (aux exceptions près déjà citées plus haut) ont accepté de prendre leur part dans la réduction de production, et ce dans des proportions comparables, comme l’indique le tableau de synthèse ci-dessous.
L’accord ménage en outre une sortie acceptable pour l’Iran qui conserve, seul, le droit d’augmenter sa production. Mais l’Arabie Saoudite a réussi à obtenir des concessions de ce pays et, surtout, a fixé un plafond très proche à sa production.
L’accord est donc bien, selon nous, historique, et montre aux cassandres qui annonçaient la mort de l’OPEP que le cartel est plus vivant que jamais et garde la mainmise sur le prix de l’or noir. Reste à savoir si l’accord tiendra et s’il sera correctement implémenté. Historiquement, il est vrai que les décisions de réduction ont rarement été observées dans leur intégralité. Mais la mise en place d’un comité de contrôle et l’avertissement lancé par l’Arabie Saoudite - et qui rendrait caduc l’accord en cas de non-respect des parties prenantes - devraient amener l’ensemble des membres du cartel à la plus grande rigueur dans l’application. Reste l’inconnue de l’engagement des pays hors OPEP : nous devrions être partiellement fixés sur ce point grâce à la réunion prévue le 9 décembre prochain avec ces pays.
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