Par Marc Albert Chaigneau, ancien conseil de sociétés et avocat d'affaires, cette expérience l'a conduit à analyser méticuleusement la société dans laquelle nous vivons. Depuis 2006, il se consacre aujourd'hui à l'écriture d'articles et d'essais dont le dernier « De la révolution à l'inversion » propose un nouveau projet de réforme de la société.
La formule équilibre financier est assez couramment répandue et fort utilisée, souvent à tort, à mon humble avis.
La finance, comme toute activité humaine, est soumises aux lois de la physique et de la mécanique. Et parmi celles-ci, les lois de l’équilibre, jouent un rôle important. Adam Smith dans son livre “La Richesse des Nations” (1776) a voulu l’appeler la “main invisible” du marché.
Dans un système très simple, l’équilibre est facile à identifier. Sur une balance Roberval, si l’on pose des marchandises sur un plateau et des poids sur l’autre, on trouve l’équilibre auquel elle est destinée et l’indication du poids des marchandises, par la position verticale de l’aiguille. En fait, même s’il existe un déséquilibre entre les plateaux, le socle assure que l’ensemble reste en équilibre. Ce phénomène existe aussi dans la finance.
Pour les finances du foyer, si les dépenses du mois sont inférieures au revenu, l’équilibre se retrouve par un excédant sur le compte courant ou d’épargne. Si c’est l’inverse, le solde d’un de ces comptes va baisser, peut-être même jusqu’au découvert. Et au sein des comptes de la banque, le découvert de l’un, s’équilibre avec le dépôt de l’autre.
Les mêmes phénomènes existent au sein des finances des banques et des états. Mais la grande diversité des opérations, rend ces équilibres invisibles. Lorsqu’ils existent, ils ne sont plus discernables que catégorie par catégorie, voire élément par élément, dans chaque structure, dans chaque système. Dans des conditions, qui ne sont plus accessibles à personne.
Pour les états, les finances publiques sont conçues de telle façon, grâce au principe d’universalité budgétaire et de non affectation des recettes, qu’il est parfaitement impossible d’identifier et de situer les déséquilibres, sauf après un long temps, nécessaire à collationner, réunir et analyser les renseignements. Ce qui rend ceux-ci parfaitement inexploitables, plus rien de ce qui a été fait n’étant alors, modifiable ou rattrapable. Les mesures prises ne correspondant jamais à la situation présente, mais à une situation passée, qui a largement évolué depuis.
Pour les banques, la diversité des filiales, des actifs et passifs, des opérations, des règlements et fiscalités des états, rend les choses encore plus complexes. Et ceux qui croient maîtriser le sujet, sont dans l’illusion. Leur pouvoir se limite à gérer des représentations et des artifices, ils n’appréhendent pas la réalité. Comme cette illusion est partagée par tous les acteurs, personne ne la remet en cause et c’est cette confiance qui assure la pérennité (relative) du système.
Ma démonstration n’est pas destinée à démontrer l’inutilité, ou un désintérêt, pour la finance. Elle est destinée à montrer à ceux qui y sont confrontés, que les vertus et la valeur qui lui sont accordées, sont trop souvent surestimées. Que ceux qui exercent dans cette discipline, devraient faire preuve d’une plus grande humilité.
Il est enseigné, je l’ai fait moi-même, qu’un bilan est une photographie instantanée du patrimoine de l’entreprise. C’est inexact, trop ambitieux. Au mieux, le bilan pourrait être une radiographie numérique. Toutes les données du patrimoine de l’entreprise ne sont pas susceptibles d’être numérisées, ce que l’on voit n’est qu’une trame bidimensionnelle, alors que la réalité comporte de la chair et de l’esprit, dans un espace multidimensionnel.
A titre d’exemple probant, j’ai vu des bilans de sociétés, caractéristiques d’un état de cessation de paiement. Dont les liquidités étaient très inférieures au passif exigible, mais dont le dynamisme, la qualité des dirigeants et du travail fourni étaient tels, que tous les fournisseurs, créanciers et prestataires de services leur faisaient confiance. Que ces sociétés ont survécu, se sont développées et ont atteint une grande prospérité. A l’inverse, j’ai connu des sociétés avec de superbes bilans, véritables morceaux d’anthologie, qui étaient mourantes par défaut de dynamisme et d’investissements.
Je ne serai pas moins critique envers les comptes de résultats ou d’exploitation. Ceux-ci sont destinés à enregistrer des flux. Mais sont présentés annuellement. Lorsque l’on analyse le débit, ou flux, d’un fleuve, on l’exprime, dans la plupart des cas, en mètre cube par seconde. Si l’on devait l’exprimer en mètre cube par an, on en ferait disparaitre les variations, la saisonnalité. Pour le Nil, par exemple, on ne tiendrait pas compte des périodes de crues et d’inondation. Ce parallèle montre à quel point les données comptables et financières peuvent fausser la vision et la compréhension, que nous pouvons avoir de la réalité. Que leur lecture doit en être réservée à des spécialistes connaissant non seulement la discipline, mais également la matière, l’entreprise, le secteur d’activité … Qu’à défaut, les lectures qui en sont faites sont erronées et les interprétations fallacieuses.
Il est, à mes yeux, parfaitement regrettable, que la finance gouverne le monde. Ce n’est pas sa vocation, elle n’a pas les qualifications et compétences nécessaires. Sa gestion en est mauvaise, plus nuisible que bénéfique. L’économie devrait être au service de l’humanité et la finance au service de l’économie, alors que c’est aujourd’hui l’inverse. Comme souvent, le serviteur a asservi le maître, l’instrument ou le moyen, étant devenu une fin en soi.
Je ne pense pas, que nous puissions réformer le monde ou le système financier. Mais prendre conscience de la façon dont il fonctionne, pourrait peut-être éviter certains des excès et des dommages, dont il est responsable.
L’ambition de cet article s’arrête là.
Marc Albert Chaigneau
Comprendre l'économie durable pour s'y investir