Par Luc Baqué, Directeur Général France d’Alpha FMC, Cabinet de conseil dédié aux acteurs de la gestion d'actifs et de la banque privée.
Un décalage de l’entrée en application du règlement européen sur l’information des investisseurs non professionnels paraît inévitable. Il devrait être l’occasion d’harmoniser les textes, parfois contradictoires, de la directive MIF II et du règlement PRIIPs.
Le 15 septembre 2016, le Parlement Européen a voté le rejet des standards techniques (RTS) de PRIIPs (le règlement sur l’information des investisseurs non professionnels) dont la version finale avait été publiée par la Commission Européenne le 30 juin dernier. Cette décision confirme la motion adoptée à l’unanimité quelques jours plus tôt par la Commission des Affaires Economiques et Monétaires (ECON) du Parlement.
Le Conseil européen pourrait à son tour se positionner contre ces standards techniques, la France, le Royaume-Uni, la Hongrie, l’Autriche, Chypre et la Roumanie auraient en effet déjà exprimé leur intention de les rejeter. Cela augmenterait alors la pression sur la Commission Européenne qui, suite au vote de l’ECON, s’orientait plutôt vers des guidelines de niveau 3 sous forme de Questions/Réponses plutôt qu’une revue complète du contenu du document.
Le règlement PRIIPs vise à améliorer la protection des investisseurs en imposant un document d’informations clés (DICI ou KID - Key Information Document). Ces standards techniques (RTS) avaient pour objectif de préciser la méthodologie de calcul des différentes informations mentionnées dans le KID. Cependant plusieurs points causaient de fortes inquiétudes de la part des acteurs de la place quant à leur cohérence et leurs modalités de mise en application. Les associations professionnelles représentant ces acteurs, telles que l’AFG ou encore l’EFAMA au niveau européen, pour ne citer qu’elles, s’étaient fortement mobilisées pour dénoncer les conséquences de ce texte sur les épargnants et leurs inquiétudes sur la mise en œuvre d’un tel texte par les différents acteurs (Banques, Assureurs, Sociétés de gestion). Inquiétudes finalement partagées par le Parlement qui a rejoint l’avis de l’ECON en qualifiant ces RTS d’inadéquats.
Parmi les problématiques soulevées par les différentes associations de marché, nous retenons en particulier :
1/ Une multiplication des documents fournis aux souscripteurs de contrats d’assurance vie. En effet, lorsque des OPCVM sont distribués sous forme d’unités de compte de contrats d’assurance-vie, les RTS précisent que les informations PRIIPs doivent être fournies. L’investisseur aura alors à sa disposition deux documents d’information, le KID PRIIPS et le KIID UCITS dont les informations diffèrent dans la méthodologie de calcul employée (indicateurs de risque et de performance, coûts). Les assureurs, banques et sociétés de gestion craignent cette multiplication des documents fournis à l’investisseur, qui aurait pour conséquence de rendre difficilement comparable et donc plus opaque l’information diffusée sur les produits qu’ils gèrent. Ils appellent à une exemption de KID PRIIPS pour les OPCVM ou FIA disposant déjà d’un KID UCITS.
2/ La méthodologie de calcul de certains indicateurs.
- Les coûts de transaction : la définition proposée est différente de celle de MiFiD II. La méthode de calcul est complexe à mettre en place dans le délai initialement imparti et peut mener à fournir des informations erronées
- Les scenarii de performance : le document ne contient pas de communication sur les performances passées et la méthodologie de calcul des scenarii futures peut mener à une interprétation pénalisante commercialement (avec des projections trop ou pas assez pessimistes)
- Les indicateurs de risque (SRI): certaines formules ne permettent pas une mesure fiable, d’autres sont à détailler.
Il sera donc difficile pour les épargnants de s’y retrouver au milieu de toutes ces informations souvent complexes dont la définition ou plus exactement les composantes de calcul diffèrent d’une réglementation à l’autre et donc d’un document à l’autre. Sans compter que pour les assureurs, banques et sociétés de gestion, la constitution et la restitution de ces données ne sera pas chose aisée si le délai d’application n’est pas repoussé.
Compte tenu de la multiplication des documents fournis à l’investisseur, la complexité et le coût liés à leurs productions, bon nombre d’assureurs ont envisagé de réduire de façon significative le nombre de produits proposés dans le cadre de leur contrat d’assurance-vie. De notre point de vue, cette réglementation deviendrait en l’état contre-productive dans la mesure où cela appauvrirait l’offre proposée aux épargnants. Ceci serait alors extrêmement préjudiciable, l’assurance-vie étant un support majeur de l’épargne des français.
Quelles conséquences suite au vote du Parlement ?
Bien qu’il s’agisse d’une première en matière économique et financière, nous savons que la Commission Européenne doit à présent revoir sa copie et soumettre une nouvelle version des RTS. D’ailleurs, les associations professionnelles restent fortement mobilisées sur ce sujet et travaillent sur des propositions d’amendements des RTS.
Compte tenu des délais, le décalage de l’entrée en vigueur de PRIIPs nous semble à présent inévitable. En effet, bien qu’évoquée, la mise en application de la réglementation sans standards techniques serait peu pertinente. A ce titre, le Parlement a d’ailleurs invité la Commission Européenne à envisager de revoir la date de mise en application prévue dans le texte de niveau 1, sans modification sur le contenu de la réglementation, afin d’assurer la bonne mise en oeuvre des nouvelles exigences.
On pourrait alors imaginer une entrée en vigueur conjointe de PRIIPs et MiFiD II au 3 Janvier 2018, ainsi que l’harmonisation des deux textes, permettant ainsi aux acteurs un délai et des contraintes de mise en œuvre moins complexes, et garantissant la mise à disposition d’informations cohérentes à l’investisseur pour sa prise de décision. Pour exemple, la définition des coûts de transactions dans le cas de PRIIPs inclut les frais courants et sont calculés en y intégrant la différence entre le prix de marché observé au moment du passage de l’ordre et le prix d’exécution. Dans le cas de MiFiD II, les coûts de transaction ne font pas partis des frais courants et correspondent aux frais réellement payés lors de la transaction.
A ce stade l’étendue des modifications qui seront apportées et le décalage de l’entrée en vigueur restent incertains. La Commission Européenne pourrait, dans le pire des cas, limiter sa revue aux points de blocage évoqués par le Parlement et maintenir l’entrée en vigueur de la réglementation au 31 décembre 2016 avec une publication des actes délégués à une date qui resterait à confirmer. Une telle précipitation serait fortement préjudiciable à la protection des investisseurs ce qui reste l’objectif ultime de cette réglementation.
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