Par Norman Villamin, Directeur des investissements Private Banking et Patrice Gautry, Chef Economiste à l’UBP
Les inquiétudes liées à la poursuite du ralentissement de l’activité américaine début 2016 ont intensifié les pressions en Europe et en Asie. Ce contexte a ainsi fait ressortir certaines craintes quant à la possibilité des banques centrales de mettre en place de nouvelles mesures qui soient efficientes, et quant à la capacité d’agir des administrations fiscales et des gouvernements à travers le monde.
Cependant, force est de constater que ce sont à nouveau les actions de ces décideurs qui ont contribué à apaiser ces inquiétudes, la Fed ayant marqué une pause dans son cycle de resserrement, tandis que la BCE a étendu ses rachats d’actifs et annoncé son programme d’assouplissement du crédit («credit easing») en mars. Les décideurs politiques chinois ont aussi rejoint la partie en adoptant des mesures budgétaires et monétaires plus traditionnelles, et même le G-20 est intervenu de façon à empêcher ses membres d’utiliser la faiblesse de leur monnaie pour doper leur économie domestique.
Bien qu’au 1er semestre, les banques centrales aient montré leur volonté de soutenir la dynamique de croissance et de relancer l’économie dès lors que cela est possible, le résultat surprise du vote en faveur d’une sortie du Royaume-Uni est venu souligner l’incapacité des banquiers centraux à conduire des réformes structurelles. En Europe et dans le reste du monde, cette tâche est laissée aux dirigeants politiques, qui sont particulièrement réticents à cet égard.
Sur le Vieux Continent, les responsables politiques devront désormais prendre les commandes pour remodeler le projet européen. Le vote en faveur du Brexit marque le début d’une longue période d’incertitude en Europe, qui aggrave les risques de fragmentation de l’UE. Le manque de dynamique de réformes depuis l’éclatement de la crise en zone euro, combiné avec l’effet de catalyseur du référendum britannique, constitue une menace majeure pour la croissance mondiale, déjà fragile.
Une croissance économique globale à 3%
Les dommages économiques directs causés par le vote pour le Brexit devraient surtout concerner le Royaume-Uni, tandis que l’incidence sur l’activité en zone euro sera probablement modérée. Nos anticipations sur la croissance mondiale sont restées globalement inchangées à la suite du résultat du référendum: en effet, selon nous, il aura vraisemblablement un impact limité sur la reprise solide observée outre-Atlantique et la stabilité retrouvée dans les économies émergentes.
Les perspectives de croissance économique pour l’année restent modestes, à 3%, avec des rythmes de progression qui s’affichent en dessous des niveaux historiques, tant pour les pays développés que pour les pays émergents. Ainsi, après la faiblesse du premier semestre, nous prévoyons un rebond de l’activité au second semestre, grâce à une croissance qui devrait être plus robuste aux Etats-Unis, avec des dépenses de consommation soutenues notamment par les créations d’emplois.
La reprise progressive en zone euro, favorisée par les politiques de relance monétaire de la BCE, était, selon les prévisions, appelée à ralentir au second semestre, et ce avant même l’incertitude autour du résultat du référendum britannique. Le rebond observé sur le 1er semestre avait été alimenté par un raffermissement de la consommation des ménages et des investissements au sein des entreprises, mais la tendance devrait toutefois se modérer compte tenu de la montée des incertitudes et du recul des exportations vers le Royaume-Uni. Par conséquent, les perspectives de croissance en zone euro ont été légèrement revues à la baisse, soit 1,4% attendu en 2016 et 1,3% en 2017.
Au Royaume-Uni, les perspectives sont bien plus préoccupantes, avec notamment la chute de confiance attendue à la suite du résultat du vote, et les décisions d’investissement seront probablement ajournées jusqu’à ce que la situation s’éclaircisse sur les accords à venir entre l’UE et le Royaume-Uni. L’économie britannique pourrait donc entrer en récession au second semestre, et en 2017 (-1% attendu). Les craintes sur le secteur bancaire sont appelées à s’intensifier en raison du risque de dégradation de l’économie britannique et d’un changement des règles bancaires en Europe, à l’heure où il existe toujours de sérieuses inquiétudes sur les bilans et les besoins considérables en capitaux pour assurer la stabilité du secteur.
Du côté de la Chine, les craintes étaient similaires au premier semestre, mais les mesures budgétaires et monétaires récemment mises en place ont permis de stabiliser les perspectives de croissance. Toutefois, à l’instar de l’Italie, la Chine devrait commencer à engager des réformes et restructurer les prêts non performants au sein du bilan des banques locales, contrebalançant ainsi la dynamique de croissance sous-jacente de l’économie dans son ensemble.
Au Japon, le stimulus budgétaire attendu devrait contribuer à stabiliser l’activité dans les trimestres à venir, alors que la banque centrale (BoJ) essaiera très probablement de compenser une appréciation malvenue du yen après la baisse de la livre sterling due aux événements d’outre-Manche. Cependant, le calendrier des réformes étant plutôt limité sur le front de l’immigration et du marché du travail, les décideurs politiques japonais pourraient devoir se réorienter vers des outils de politique économique encore plus expérimentaux en 2017, en cas de nouvelle baisse de régime de la croissance.
Les perspectives économiques dépendront encore fortement des développements politiques, particulièrement en Europe. A cet égard, le référendum à venir en Italie et les élections prévues aux Pays-Bas constitueront un véritable test, d’autant que les partisans d’une sortie de l’UE ont déjà demandé la tenue d’un référendum sur la question dans plusieurs pays (Ecosse, Autriche, France et Allemagne). Les promesses gouvernementales en vue d’une meilleure intégration ne suffiront probablement pas à combler le fossé qui existe entre les citoyens, les institutions européennes et les gouvernements, laissant ainsi les marchés avec la lourde charge de jauger périodiquement l’amplitude des risques de fragmentation de l’UE.
Une détérioration du profil risque/rendement des actions, mais des opportunités attrayantes pour les stratégies de portage
Dans ce contexte, les accès de volatilité périodiques, tels que ceux observés début 2016, devraient se généraliser au second semestre. Les stratégies de crédit et de «carry» (portage) constituent donc nos moteurs de performance préférés dans les portefeuilles diversifiés, avec une attention particulière portée à la réduction des risques au sein des allocations en actions.
Les rendements obligataires ont fortement diminué, atteignant des niveaux proches de ceux observés durant la crise de 2008. Les rendements sur les emprunts gouvernementaux continuent d’offrir peu d’attrait pour les investisseurs à long terme, même si nous reconnaissons les avantages que ces placements peuvent représenter pour atténuer le risque face à la volatilité de marché à venir.
Pour les investisseurs en USD, EUR et CHF, les emprunts d’entreprises «investment-grade» libellés en USD nous semblent plus particulièrement intéressants compte tenu du supplément de rendement offert par rapport aux obligations gouvernementales comparables. Les cours du pétrole sont vraisemblablement appelés à se stabiliser au vu de la poursuite des ajustements du côté de l’offre américaine; cela devrait permettre de limiter les risques dans le secteur du «high yield», où les primes de risque se sont fortement accrues en début d’année puis, de façon plus modeste, après le référendum britannique. Dans ce contexte, nous estimons toujours que les primes de risque survalorisent l’ampleur des hausses des taux de défaut à venir.
Les emprunts souverains en USD et la dette des entreprises des pays émergents de bonne qualité demeurent, selon nous, attrayants dans une optique de capture de rendement, les spreads restant élevés malgré la stabilité que nous prévoyons pour les économies émergentes au cours des prochains trimestres.
Contrairement aux marchés du crédit, qui surcompensent les investisseurs pour les risques encourus, les marchés actions des pays occidentaux sous-compensent généralement les investisseurs pour le faible potentiel de hausse des bénéfices. Les perspectives sur les actions se sont détériorées à en juger par les niveaux de valorisation toujours élevés et une croissance bénéficiaire encore limitée, avec pour conséquence des performances, selon nous, très modestes pour la classe d’actifs. Dans la mesure où le ratio risque/rendement offert par les actions s’avère globalement peu attrayant, nous avons réorienté les portefeuilles vers des stratégies de faible volatilité et centrées sur les titres de substance («value») au sein des actions américaines, et également vers des stratégies axées sur les dividendes, le portage de volatilité et les titres «value» pour les actions européennes.
L’amélioration des prévisions bénéficiaires devraient rester très limitée compte tenu de la montée des incertitudes sur les économies, même si la dissipation des contraintes liées aux matières premières s’est confirmée en ce début de second semestre. Les résultats publiés aux Etats-Unis et en Europe pour le 1er trimestre ont en effet généralement surpassé les attentes des analystes financiers, et les tendances émises par les sociétés se sont révélées certes prudentes, mais positives. Les perspectives de croissance bénéficiaire se sont détériorées en Europe face aux incertitudes grandissantes, alors qu’outre-Atlantique, les marges pourraient se retrouver quelque peu sous pression si, comme nous le prévoyons, le marché du travail devait se raffermir au second semestre.
Le modeste avantage, pour les investisseurs, d’un retour à une légère croissance bénéficiaire devrait être contrebalancé par les niveaux de valorisation élevés observés sur les marchés actions américain et européen. Avec un PER de 17 fois les bénéfices 2016, le marché américain a renoué avec ses plus hauts de ces dernières années, et le marché européen a atteint 15 fois les bénéfices 2016, avant la correction enregistrée dans le sillage du référendum britannique. Cela suggère donc que la compression des PER devrait représenter un risque probable pour les investisseurs en actions au second semestre 2016, et aussi en 2017.
Dans ce contexte, nous privilégions une orientation sectorielle défensive sur les actions des marchés développés afin de dynamiser les performances, avec notamment un focus sur la consommation non cyclique et la santé. Dans le cadre de la diversification de notre exposition aux actions, nous avons une préférence pour les stratégies de type «minimum variance», de façon à atténuer l’impact des hausses de volatilité périodiques auxquelles nous nous attendons. De plus, nous avons renforcé notre exposition aux «hedge funds» afin de minimiser les effets de la volatilité des actions. A cet égard, nous pensons que les stratégies «macro», «long/short» et «relative value» devraient offrir un potentiel de risque/rendement attractif pour les investisseurs.
Par ailleurs, les obstacles rencontrés par les marchés émergents semblent bien intégrés dans les cours, surtout par rapport aux risques croissants dans les marchés développés. Les décotes de valorisation atteignent à présent des niveaux historiquement élevés, alors que les entreprises des marchés émergents génèrent des ROE (rendements des capitaux propres) désormais comparables à ceux délivrés par leurs homologues occidentaux. De plus, les pays émergents ayant renoué avec une stabilité économique, la perspective de détérioration des bénéfices qui avait affecté la classe d’actifs, surtout en comparaison des marchés développés, pourrait toucher à sa fin.
Bien que notre scénario central se montre toujours en faveur d’une reprise régulière de l’économie mondiale, le résultat du référendum britannique laisse envisager des risques accrus de fragmentation ou de fracture de l’UE, voire de la zone euro, et les décideurs politiques semblent à la peine pour les éviter.
Par conséquent, il paraît intéressant, selon nous, de se protéger contre une forte baisse du taux de change EUR/USD, mais aussi d’avoir une exposition à l’or ainsi qu’une position de trésorerie importante. Cela devrait nous permettre de saisir rapidement les opportunités de création de valeur au sein des différentes classes d’actifs, engendrées par une volatilité élevée sous l’effet de l’intensification des risques politiques ces prochains trimestres.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir