La nouvelle convention fiscale franco-singapourienne modernise un texte ancien mais comporte de nombreuses contreparties. Si ces nouvelles dispositions visent à faciliter les investissements transfrontaliers, elles sont marquées par le contexte de lutte contre l’évasion fiscale des entreprises.
L’analyse de Franck Lagorce, Associé du Cabinet d'Avocats Pinsent Masons France
Le 15 janvier 2015, la France et Singapour ont concrétisé leur accord pour une révision de la convention fiscale en vigueur, laquelle remonte à 1974. Le nouveau traité a été ratifié le 1er juin 2016 et côté français, la plupart des changements sont susceptibles de s'appliquer à compter du 1er janvier 2017, bien que les dates varient selon le type d'impôt (cf art. 29).
Le nouveau traité sera particulièrement utile pour les entreprises françaises opérant à Singapour. Dans le même temps, les avancées indéniables que comporte l'accord sur de nombreux autres points sont contrebalancées par une nouvelle clause anti abus, qui vise à fragiliser l'exploitation du traité et empêcher le "treaty shopping" (cf art. 28).
On retrouve la volonté de développer des relations économiques côté asiatique puisque Singapour a confirmé son désir d'attirer de nouveaux investissements français.
Renforcer, améliorer et faciliter les investissements transfrontaliers ont été les objectifs affichés par les deux parties. Principaux points :
1/ La définition de l'établissement stable a été modernisée
Un changement significatif est apporté en termes de durée puisque, lorsqu'un chantier de construction ou de montage ou des activités de surveillance sont menés, on ne parlera d'établissement stable que si les activités/le projet durent plus de 12 mois. (Le précédent traité prévoyait une durée de 6 mois). L'autre changement, encore plus notable, est lié à l'extension de la qualification même d'"établissement stable" aux services (y compris de consulting), qui pourront également constituer un établissement stable si les activités se déroulent dans l'autre pays pour une période (ou plusieurs périodes) totalisant plus de 365 jours, dans les limites d'une période quelconque de 15 mois (cf art. 5).
2/ Les dividendes continuent d'être taxés dans le pays du bénéficiaire et possiblement dans l'Etat de leur source
Le taux de la retenue à la source restera plafonné à 15% pour i) les personnes physiques, et ii) les entreprises qui détiennent directement ou indirectement moins de 10% du capital de l'entreprise qui distribue les dividendes. Il sera en revanche désormais plafonné à 5% (au lieu de 10% dans l'ancien) si cette société détient directement ou indirectement 10% ou plus du capital social de l'entreprise qui paie les dividendes. Comme il n'y a actuellement pas de retenue à la source sur les dividendes à Singapour, ce changement profitera plutôt aux entreprises françaises ayant des filiales à Singapour (cf. art. 10).
3/ Une disposition spécifique limitant la réduction d'impôt à la source sur les dividendes pour certains véhicules d'investissement immobilier (cf art. 10.4)
Lorsqu'ils distribueront des revenus annuels provenant de revenus ou plus-values de propriétés immobilières et des revenus et plus-values non taxés, ceux-ci seront traités comme des dividendes "ordinaires", à moins que le bénéficiaire effectif ne détienne, directement ou indirectement, au moins 10% du capital du véhicule d'investissement - auquel cas le pays de source des dividendes pourra les imposer à un taux ordinaire de retenue à la source. Cette clause est typiquement l'une des plus modernes insérées par notre pays et fait suite à l'introduction en France de régimes de taxation spécifiques (introduits dans les années 2003 et 2005) à certains véhicules immobiliers ; selon nous, ce sont précisément ces véhicules immobiliers, les sociétés immobilières cotées en bourse ayant opté pour le régime des "S.I.I.C" et les véhicules règlementés non cotés en bourse, du type OPCI – SPPICAV, qui sont visés par la clause. Une détention directe ou indirecte à 10% ou plus de leur capital pourrait donc laisser la France prélever son taux de droit commun de retenue à la source, de 30% actuellement.
4/ Pour les intérêts, la retenue à la source reste plafonnée à 10%
En revanche, lorsque l'intérêt est payé par une entreprise de l'un des Etats contractants à une entreprise de l'autre Etat contractant, il ne sera désormais taxé que dans l'Etat de l'entreprise bénéficiaire (cf art 11). Comme il n'y a normalement pas de retenue à la source en France sur les intérêts servis à l'étranger, cette mesure devrait bénéficier essentiellement aux entreprises françaises recevant des intérêts en provenance de Singapour.
5/ Une redéfinition des plus-values immobilières sur demande de la France
"Les biens immobiliers" comprendront non seulement le bien immobilier lui-même, mais également les actions, parts ou autres droits détenus dans une société, une fiducie, un trust ou toute institution ou entité. Pour que cette définition s'applique, il faudra que l'actif ou les biens dont il est question soient constitués à plus de 50% ou tirent plus de 50% de leur valeur directement, ou indirectement par l'interposition d'une ou plusieurs autres institutions ou entités, de biens immobiliers tels que visés à l'article 6. Ceci permettra à la France d'imposer les plus-values, au taux actuel d'environ 34%, lors de la cession d'actions ou droits dans des véhicules "à prépondérance immobilière". Les gains réalisés sur les cessions de participations dans des sociétés et entités autres que les sociétés immobilières continueront, eux, à être exclusivement imposés chez le cédant (art. 13).
- L'accord prévoit toutefois des clauses de sauvegarde qui permettent à un Etat de préserver sa capacité à imposer dans certaines situations : les avantages du traité ne seront pas accordés lorsque le principal objectif de certaines transactions, opérations ou d'accords sera d'obtenir une position fiscale plus avantageuse, puisque ceci serait contraire aux principes du traité (cf. art 28).
- Les impôts français couverts par le nouveau traité englobent désormais les contributions sur l’IS et les CSG et CRDS (cf. art. 2).
- La notion de résident fiscal (c'est à dire les personnes visées par la convention fiscale) est désormais limitée aux personnes qui, selon les règles de l'Etat, y sont assujetties à l'impôt, mais comprend l'Etat, ses collectivités territoriales ou ses personnes morales de droit public. (cf art 4.)
Le nouveau traité entre la France et Singapour s'accompagne d'un lot de contreparties tout aussi actuelles puisque n'en profiteront que les contribuables qui se soumettront aux règles de bonne conduite voulues par la communauté internationale.
Pour autant, le dispositif nouveau n'est pas aussi abouti que certains auraient pu l'espérer : l'article 12 qui traite des redevances n'a pas été modifié, par exemple, et le nouvel accord ne comporte pas de précisions sur le traitement toujours délicat des sociétés de personnes.
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