Il y a un peu plus d’une semaine, les marchés subissaient un choc à l’annonce d’un Brexit longtemps craint mais resté finalement dans les esprits financiers comme une hypothèse théorique peu probable. L’impact sur les prix des actifs fût violent le vendredi 24 juin, mais nettement corrigé par la suite. S’agit-il donc d’un événement systémique de nature à remettre en question nos scénarii financiers, ou doit-on en relativiser la portée?
Nous faisons face à un événement majeur, qui ajoute un faisceau d’incertitudes à la fois politiques et économiques, à une conjoncture mondiale en décélération.
Il est en outre peu probable que les incertitudes politiques soient levées à court terme, et chacun connaît l’impatience des marchés... Nous attendrons donc cet été la nomination du nouveau Premier ministre britannique et la demande officielle du Royaume-Uni à sortir de l’UE, avec à l’esprit la patente désunion politique et populaire sur ce sujet outre-Manche. Nous observerons également la réaction des partenaires européens face au rejet anglais, cet événement constituant un test indiscutable pour l’unité des gouvernements, dans un contexte pré-électoral pour tous les grands pays, Allemagne, France, Italie,... avec partout un risque élevé de forces centrifuges face aux enjeux européens.
La renégociation des accords commerciaux et financiers sera, elle, largement différée, et si l’impact économique s’annonce tangible au UK, la contagion à l’Europe continentale et au reste du monde nous apparaît à ce stade contenue, à l’exception de la sphère financière qui, elle, aborde une phase incertaine de redistribution des cartes au détriment de la place londonienne.
Événement non bénin donc, mais force est de constater que les marchés ont réagi en bon ordre, avec des décotes mesurées sur les actifs risqués européens, et une nouvelle phase d’écrasement des rendements sur les titres obligataires éligibles au programme de QE de la BCE.
La baisse très mesurée observée à ce jour sur les actions européennes nous semble pour l’instant trop peu accroître leur prime de risque, dans un contexteoù les fondamentaux micro-économiques, déjà ternes,risquent de souffrir du manque de visibilité ambiant.
En revanche, la phase de consolidation du crédit offre à notre sens l’occasion de compléter opportunément les positions, car l’ensemble des actifs de rendement devrait continuer à être supporté par la BCE, très offensive en termes de choix de signatures à l’ouverture de son programme de QE sur dettes privées.
Peu d’espoir, dans ce contexte de forte mobilisation des banques centrales, de voir les dettes gouvernementales « core » retrouver des niveaux de rendement plus attractifs à court terme. Les taux américains nous apparaissent néanmoins fragiles à moyen terme car il est probable qu’une fois l’onde de choc du Brexit dissipée, les anticipations sur les taux Fed soient à nouveau guidées par des considérations plus domestiques, ce qui devrait entraîner un redressement de la partie courte de la courbe US.
En amont du référendum britannique, nous avions adopté un positionnement défensif dans la gestion des produits d’épargne, ce choix s’est avéré pertinent et il nous semble aujourd’hui prématuré de le remettre complètement en question au regard des valorisations qui prévalent en ce début juillet. Les marchés devraientrester volatils cet été face aux aléas post Brexit, maisaussi se re-focaliser sur des données plus macro fondamentales,qui, en Europe, s’avèrent en améliorationsensible depuis début 2016. S’ils font preuve en coursd’été d’un pessimisme qui nous semble excessif, nousenvisagerons probablement de renforcer à bon comptenos positions et de revenir à des allocations plusoffensives.
Les indicateurs économiques actuellement disponibles portent sur la période antérieure au référendum du Royaume-Uni et donnent donc une image de la conjoncture mondiale à la veille du Brexit. Cette image est peu différente de la description que nous donnions dans notre lettre du 8 juin. Au 2ème trimestre 2016, la croissance mondiale s’est maintenue au voisinage de 3% l’an. Le rebond du prix du pétrole a éloigné la crainte d’accidents de solvabilité dans le secteur énergétique, et les politiques monétaires toujours très accommodantes exercent un soutien de l’activité économique et de la valeur des actifs.
C’est dans ce contexte qu’est intervenue la victoire du Leave au référendum britannique. Les marchés ont réagi d’autant plus violemment qu’ils s’étaient largement auto-persuadés, contre la vraisemblance statistique qui résultait de sondages répétés, que le Remain l’emporterait. La secousse a été forte au lendemain du résultat. Cependant, aucune dislocation des marchés n’est intervenue et dans l’ensemble le fonctionnement des marchés est resté ordonné. Le Brexit ne restera pas pour autant sans conséquences économiques. Les conséquences concernent d’abord le Royaume-Uni. Le taux de change effectif de la livre sterling contre toutes monnaies a reculé de 10%. Le « choc » de prix sur les importations induira une perte de pouvoir d’achat des agents intérieurs. Cette perte intervient dans le climat de forte incertitude créé par le Brexit, alors que par ailleurs le taux d’épargne des ménages anglais est déjà extrêmement bas. Elle accentuera le ralentissement amorcé l’hiver dernier et peut impliquer une courte récession au début 2017.
L’impact direct de la perte de croissance britannique sur la croissance de la zone euro par le canal des échanges commerciaux, peut être estimé à 0,2% du PIB de l’Union. Un impact indirect plus diffus mais plus important sera lié aux comportements des acteurs européens dans un contexte de grande incertitude sur l’avenir même de l’Union. Il faudra environ 2 ans pour définir le nouveau statut du Royaume-Uni et pour trancher le débat, qui a déjà commencé de façon plutôt conflictuelle, sur l’évolution institutionnelle de l’UE.
Or un environnement institutionnel et politique durablement incertain incite à des comportements restrictifs. Nous ne croyons pas pour l’instant à un réveil de fortes tensions sur les taux souverains européens en raison de la politique de la BCE. Le plus probable est que les politiques monétaires chercheront à être encore plus accommodantes, avec les risques à terme déjà identifiés d’une instabilité croissante des cours des actifs.
En résumé, le Brexit nous conduit à baisser les prévisions de croissance de la zone euro pour 2017 de 1,5 à 1,2 %, voire moins. L’année 2017 serait donc moins favorable que 2016.
Si le risque d’un véritable retournement de conjoncture, un peu comme en 2008, n’est pas actuellement à l’ordre du jour, la remontée des taux de défaut, qui est généralement annonciatrice d’un retournement général, se poursuit de mois en mois. En réduisant la croissance,le Brexit peut en amplifier le mouvement.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir