Par Eva Balligand, gérante de VEGA Emerging
Si le début d’année a été difficile pour les marchés actions, la chute des actions chinoises (H et A) est de loin la plus impressionnante. Indicateurs économiques mitigés, hausse du crédit inquiétante, ralentissement de la croissance, tensions sur le change qui auraient entrainé la chute des réserves, crise de confiance des investisseurs, le marché n’a pas manqué d’arguments pour expliquer l’ampleur de ce mouvement. Mais force est de constater que la donne est clairement en train de changer, aussi bien sur le plan économique que financier.
Sur le front économique : avec 16% du commerce mondial, autant que les États-Unis, la Chine surprend agréablement le marché avec au final une croissance de 6,7% sur le 1er trimestre 2016. Au plus bas depuis 2009, ce niveau de croissance correspond pourtant aux objectifs de Pékin. Grâce aux mesures exceptionnelles telles que l’allégement des conditions d’achats immobiliers, les baisses successives de taux directeurs et du ratio de réserves bancaires orchestrés par la Banque Centrale de Chine (Pboc), la situation semble donc sous contrôle et le gouvernement redore à petits pas son image au niveau international.
Ces derniers mois, la moindre contraction des exportations comparée aux importations permet de retrouver un excédent extérieur ainsi qu’une progression des réserves de change (3 219 Mds$ fin avril).
Concernant le yuan et compte-tenu des tumultes de début d’année, la Pboc a abandonné son mode de fixing quotidien basé sur l’évolution des marchés, au profit d’un grand retour à une fixation administrée face à son panier de devises de référence. Les autorités chinoises ont réussi ainsi un vrai tour de force, à la fois en réduisant le spread entre le CNH (cours coté offshore) et le CNY (coté onshore) et en divisant par deux la volatilité. Ce changement de politique a permis en l’espace de quelques mois de calmer le jeu sur le marché de changes. Face aux signaux de relèvement des taux de la Fed, stabiliser le yuan reste plus que jamais la priorité.
Si la situation s’améliore, tout risque n’est pas écarté ! L’immobilier, les surcapacités de production et la dette sont susceptibles de peser sur la stratégie mise en place par Pékin. L’agence de notation S&P a communiqué récemment son inquiétude concernant l’évolution de l’endettement des entreprises qui serait passé de 98% du PIB fin 2008 à 160% aujourd’hui. A noter que ces craintes grandissantes ont également impliqué une révision importante à la hausse des créances douteuses.
Sur le front financier : rien ne semble en mesure d’arrêter la transformation en marche. L’ouverture du marché, commencée avec Shanghai Hong Kong Connect en novembre 2014, ne fait que s’accélérer : annonce du FMI d’introduire le renminbi au sein des Droits de Tirages Spéciaux (DTS), ouverture du marché interbancaire aux grands investisseurs institutionnels…L’année 2016 marque aussi un tournant avec l’ouverture des marchés obligataires et actions. Crédit Agricole CIB anticipe à ce titre une progression phénoménale sur les prochaines années de la dette émise en renminbi par les acteurs étrangers : ce marché des obligations « pandas » atteindrait 1 800 Mds$ d’ici 2025. Il est important de garder à l’esprit qu’avec 8 900 Mds$ le marché obligataire chinois est le 3e plus gros marché obligataire au monde
De plus, après avoir orchestré un désengagement massif du dollar entre le 3e trimestre 2015 et janvier 2016, la Chine joue la carte de l’ouverture au sens large afin de faciliter les entrées de capitaux, la cible étant clairement l’entrée de dollars dans le pays. Début mai, les autorités chinoises ont annoncé des mesures d’assouplissement propices à simplifier l’émission de dettes en devises étrangères pour les entreprises et surtout la conversion de dollar en renminbi. C’est une question importante car Pékin a fait part récemment, de son intention d’ouvrir certains secteurs d’activités aux investisseurs étrangers avec des perspectives avoisinants 1 000 Mds$ d’ici 2020. Une rencontre « fortuite » entre les États-Unis et la Chine est d’ailleurs prévue début juin pour avancer sur ces sujets. Et ce dans un contexte où les revers subis depuis le début de l’année par les entreprises chinoises cherchant à acquérir des actifs américains commencent à être nombreux et alors que la Chine est en phase d’enregistrer une année record en matière d’acquisitions et de prises de participation à l’étranger.
Mais la vraie révolution concerne les marchés actions. Les perspectives d’une annonce de MSCI en faveur d’une inclusion des actions A dans ses indices ne font que se renforcer. Très positifs depuis plusieurs mois sur cette éventualité, nous renforçons le poids des actions A dans nos portefeuilles comme celui de VEGA Emerging. Les raisons sont simples : cela fait près d’un an que MSCI travaille au côté du régulateur chinois dans le but d’intégrer les actions A au sein de ces principaux indices. Henry Fernandez, Président de MSCI, avait d’ailleurs communiqué fin 2015 sur le fait que les « A-shares » intégreraient les indices MSCI plus vite que prévu. Le retour des actions A sur des niveaux proches du lancement de Shanghai-Hong Kong Connect nous est clairement apparu comme une réelle opportunité d’investissement.
Enfin depuis bientôt un an, l’ensemble des gérants émergents scrutent des nouvelles concernant la connexion entre Shenzhen et Hong Kong. Aujourd’hui, les principaux gérants sont positionnés majoritairement sur les actions « H » (sociétés chinoises cotées à Hong Kong), qui font partis des indices MSCI. Pour eux, la perspective d’un rapprochement entre les deux places est un véritable catalyseur. Notamment en termes de diversification sectorielle et d’ouverture aux petites et moyennes capitalisations. En effet, à Hong-Kong (dont la capitalisation est de 310 Mds$), l’indice de référence, le HSCEI, est composé de 40 actions dont 70% sont des financières. Face à elle, la Bourse de Shenzhen cote 1 808 valeurs pour une capitalisation de 1 287 Mds$, et ouvre l’accès à une réelle diversification en matière de secteurs (10% financières, 21% valeurs technologiques…). Pour rappel, la Bourse de Shanghai, qui est la principale porte d’entrée pour les investisseurs étrangers sur les actions A, englobe 1 139 titres pour une capitalisation globale de 1 271 Mds$. Avec un poids prépondérant de financières (34%) et une quote-part très faible réservée à la nouvelle économie (seulement 4% de valeurs technologiques) sur Shanghai, la future ouverture de la Bourse de Shenzen vient apporter une source de diversification supplémentaire et très attendue par les investisseurs étrangers. Demain, la connexion entre Shenzhen et Hong Kong permettra également aux investisseurs étrangers de doubler leur univers d’investissement sur les actions chinoises locales.
Ensemble, tous ces éléments nous incitent à revoir nos anticipations à la hausse. Nous passons donc de 75 à 90% de chance que le MSCI annonce lors de son conseil scientifique du 15 juin l’intégration des actions A dans certains de ses indices, qui serait effective à compter de juin 2017. La vraie question réside donc plutôt dans le poids qui leur sera alloué. A terme, elles devraient représentées environ 19% du MSCI Emerging Markets, ce marché représentant le 2e marché actions en termes de capitalisation boursière. Pas de précipitation néanmoins, ce mouvement prendra des années pour des raisons à la fois de quotas, d’ouvertures récentes des marchés et des implications d’un tel poids sur les autres pays déjà présents dans les indices. Par conséquent, nous tablons sur une évolution progressive et modérée avec pour commencer un poids compris entre 1 et 2% au sein du MSCI Emerging Markets.
Ainsi, en un temps record, le Président chinois Xi Jinping est en phase de remporter un nouveau bras de fer en réussissant l’ouverture de ses marchés actions et obligataires tout en obtenant la reconnaissance de la place financière internationale.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir