Tantôt fortes, tantôt faibles, les réactions du marché aux politiques monétaires ont donné le ton pour le premier trimestre. Pour le moment, seule l’inflation semble ne pas réagir à la politique monétaire. Cependant, qu’est-ce que cela signifierait pour les marchés, plus particulièrement action, si l’inflation revenait dans la partie ?
Guido Barthels, gérant d’Ethenea Independent Investors S.A. et Yves Longchamp, Head of Research d’Ethenea Independent Investors (Schweiz) AG, apportent leur éclairage.
Le début de l’année n’a pas été favorable aux marchés financiers, et c’est un euphémisme. Toutefois, alors que nous atteignons la fin du premier trimestre, la situation s’est rétablie à de nombreux égards depuis les bas niveaux de janvier, probablement en partie grâce à la politique monétaire. Face aux turbulences, les banques centrales ont largement réagi comme l’on s’y attendait, en abattant leurs cartes d’achats d’actifs supplémentaires, de nouvelles baisses des taux à des niveaux toujours plus bas ou, dans le cas de la Fed, de report du relèvement des taux, dans l’optique d’apaiser les marchés et de soutenir l’économie. Or, tandis que les banques centrales jouent ce qu’elles estiment être leurs derniers atouts, le marché et l’économie observent leur donne et réfléchissent à leur prochain coup.
La politique monétaire s’est encore complexifiée
Si le marché s’est effectivement apaisé à la suite d’un nouvel assouplissement des conditions monétaires mondiales, il n’y a pas eu de redressement radical. Plus l’on a joué de cartes dans une partie, plus il devient facile de calculer ce qui reste dans les mains des joueurs, et donc d’affiner sa propre stratégie. Ainsi, alors que les banques centrales du monde entier ont baissé leurs taux d’intérêt plus de 600 fois depuis la crise financière mondiale et acheté pour plus de 12 000 Mds$ d’actifs, les réactions du marché et de l’économie sont plus réservées que lors des premières manches. Avec plus de 8 000 Mds$ de crédits souverains actuellement négociés en dessous de 0%, les banques centrales semblent toujours mener le jeu. Mais (…) la politique monétaire s’est encore complexifiée. Le nombre de cartes en main a diminué, mais certains joueurs qui étaient perçus comme marginaux au début de la partie disposent maintenant de cartes de forte valeur, ce qui change les stratégies des principaux joueurs.
L’inflation, un joker qui n’a pas encore été tiré dans ce « jeu de liquidités »
Si les banques centrales ont montré qu’elles étaient capables de créer de nouvelles cartes et de prolonger la partie pendant plus de manches que ne l’escomptaient le marché et l’économie, elles ont également joué leurs cartes judicieusement, en faisant preuve d’endurance et de patience. En dépit de stimulations sans précédent, nous sommes loin d’une économie mondiale en plein essor. Toutefois, il reste au moins un joker qui n’a pas encore été tiré dans ce jeu de liquidités et de mesures de relance : l’inflation. (…) Les banquiers centraux sont surpris par l’absence d’accélération de l’inflation sous-jacente. Mais ce défaut d’anticipation pourrait aller dans les deux sens, et comme l’a souligné Janet Yellen, la présidente de la Fed, lors de son récent discours devant l’Economic Club of New York, même si « la compréhension qu’ont les économistes de l’inflation est loin d’être parfaite (...) il ne serait pas si surprenant que l’inflation augmente plus rapidement que prévu ». Par conséquent, tandis que tout le monde attend que ce joker soit enfin joué, (…) que cela signifierait-il pour les investisseurs ?
Etats-Unis : l’inflation est corrélée avec le rendement des bénéfices du S&P 500
L’effet de l’augmentation de l’inflation sur la courbe des taux et sur les obligations est relativement simple, mais il n’en va pas de même pour les répercussions sur les actions. (…) L’inflation sous-jacente aux États-Unis est étroitement corrélée avec le rendement des bénéfices du S&P 500, qui (…) devrait correspondre au rendement des bons du Trésor américain à 10 ans. Cela prolonge l’idée d’un rendement des investissements en actions non seulement ajusté en fonction de l’inflation, mais tenant également compte des anticipations d’inflation à long terme. Cette idée fournit certes une explication fondamentale à la corrélation observée, mais elle n’en dit guère long sur la manière d’ajuster son portefeuille d’actions si l’inflation devait effectivement repartir à la hausse.
L’évaluation de la croissance des bénéfices, un exercice plus difficile avec l’inflation
Par conséquent, nous retournons l’équation pour nous focaliser sur la partie sur laquelle les investisseurs ont réellement une influence : le prix. Tandis que les bénéfices, en tant que rendement sur un prix déterminé, sont observés comme les résultats issus des rapports des sociétés, le prix qui est fixé sur le marché en fonction des prévisions de bénéfices est considéré comme un coefficient. Sur ce fondement, nous préférons examiner l’inverse du rendement des bénéfices, à savoir le coefficient de capitalisation des résultats (PER) et son rapport avec l’inflation. En prenant la valeur réciproque, la corrélation devient négative : (…) une hausse de l’inflation est associée à un PER plus faible. (…) En outre, à cause de l’inflation, il est plus difficile pour les analystes d’évaluer la croissance observée ou anticipée des bénéfices. Lorsque l’inflation est faible, il est clair que la croissance observée est une croissance réelle et qu’elle n’est pas due à l’inflation. Cette croissance est dès lors évaluée à un niveau supérieur à celle observée dans un environnement inflationniste. On peut avancer contre cette opinion l’argument selon lequel une accélération de l’inflation n’augmente pas seulement le facteur d’actualisation appliqué aux bénéfices, mais également les bénéfices et leur taux de croissance, ce qui rendrait ambigu l’effet final sur la valorisation et le coefficient. Toutefois, (…) l’évolution des bénéfices n’a pas toujours été à la hauteur de l’augmentation du niveau des prix.
Ce que les marchés, l’économie et les banques centrales attendent, c’est le retour de l’inflation réelle
(…) Si nous supposons que l’inflation exerce une influence négative sur la valorisation des actions par la manière dont l’évolution des bénéfices futurs est évaluée, le placement en actions le plus sûr, en prévision de l’inflation, concernerait une entreprise présentant des perspectives de croissance bénéficiaire nulles, voire négatives. En termes plus généraux, l’analyse ci-dessus implique que la valorisation des titres de croissance souffre davantage d’une augmentation de l’inflation que celle des valeurs décotées. En conséquence, les valeurs décotées réaliseraient de meilleures performances que les titres de croissance dans un environnement d’inflation accrue. (…) Toutefois, (…) cette performance relative suit une tendance liée à l’inflation plutôt que des fluctuations à court terme. C’est la raison pour laquelle nous devons alerter les investisseurs qui pourraient actuellement être enclins à orienter leur portefeuille en faveur des valeurs décotées : l’inflation continue de jouer le rôle du joker dans le cycle actuel. (…) Ce que les marchés, l’économie et les banques centrales attendent, c’est le retour de l’inflation réelle. Bon nombre des évolutions observées actuellement sont les effets mathématiques du concept de la comparaison en glissement annuel et n’attestent pas forcément du début d’un nouveau cycle de relance économique. Une grande incertitude demeure quant à l’éventuelle résurgence de l’inflation, et au moment où cela se produira (…).
Comprendre l'économie durable pour s'y investir