Par Alexandre Baradez, analyste marchés chez Saxo Banque.
Comme pour tourner la page de 2012, les marchés ont, en ce début d’année 2013, focalisés leur attention sur les Etats-Unis, et non pas sur l’Europe. Etats-Unis où les négociations entre républicains et démocrates n’ont pas, contrairement à l’été 2011, débouché sur une crise boursière. A l’époque les questions qui se présentent à nouveau aujourd’hui avaient accouché d’un accord à l’arraché mais avaient surtout entre temps provoqué une hémorragie sur le Dow Jones qui avait perdu 20% de sa valeur en seulement 4 semaines. La conséquence des hésitations politiques et du haut niveau d’endettement de la première puissance économique mondiale fut la perte du AAA, l’agence Standard and Poor’s jugeant insuffisantes les mesures prises pour lutter contre le déficit budgétaire.
Près de 18 mois après cet épisode, les mêmes problématiques reviennent sur le devant de la scène…
L’année 2013 commence donc par de nouvelles questions sur les dettes publiques mais la pression sur l’Europe s’est considérablement estompée. Les dirigeants européens ont enfin compris que les marchés, au-delà de la situation économique (dette, croissance, etc..) accordaient au moins autant d’importance à la situation politique. L’année 2012 restera comme l’année de tous les dangers pour la zone euro, année au cours de laquelle l’incertitude sur la poursuite de l’intégration européenne a été poussée à son paroxysme. Est-ce que la Grèce allait rester dans la zone euro ?
Rarement le risque systémique aura été aussi important, risque de voir un Etat membre quitter la zone euro, risque de contagion aux autres états les plus fragiles de la zone euro, envolée des taux d’emprunt, fragilisation bancaire extrême en Espagne, etc…
La première partie de l’année dernière s’est faite sous l’impulsion des LTRO, permettant aux marchés de se détendre et apportant la liquidité nécessaire aux établissements bancaires...mais rapidement la réalité s’est imposée d’elle-même. Le problème de fond n’est pas un problème de liquidité mais un problème de solvabilité. La situation sur les marchés a donc continué de se dégrader rapidement. Ce que les marchés ont lourdement sanctionné, au premier semestre 2012, et au-delà de la situation économique de la zone euro, c’est l’absence de consensus politique, l’absence de mise en avant de solutions potentielles, l’affichage public des désaccords entre décideurs.
Exactement le même scénario qui s’est déroulé à l’été 2011 aux Etats-Unis avec cette conclusion implacable : les marchés accordent au moins autant d’importance au comportement des dirigeants politiques en période de crise qu’aux statistiques économiques des zones économiques concernées.
Si on ne devait retenir que deux dates cette année ce serait le sommet européen de la fin juin et le discours du président de la BCE, Mario Draghi, avec son désormais célèbre "La BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l'euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant".
Ça a été le point d’inflexion des tensions en zone euro. Avec l’annonce quelques jours plus tard de la mise en place du programme OMT puis la mise en place progressive de la supervision bancaire par les dirigeants européens, la seconde partie de l’année aura vu se détendre sensiblement les taux d’emprunt des pays fragiles de la zone euro et notamment ceux de l’Espagne et de l’Italie après avoir culminé à mi année. Cette détente des taux d’emprunt a été corrélée à la reprise haussière de la plupart des indices boursiers européens.
Après ces tensions extrêmes en 2012, l’année 2013 sera celle de la consolidation et de la poursuite des réformes entamées par les pays européens. Même si les résultats économiques sont encore difficilement perceptibles, les investisseurs et notamment les investisseurs étrangers sont partiellement de retour en zone euro. Leur retour se traduit notamment par la baisse des taux d’emprunt des pays fragiles de la zone euro et par la hausse des marchés actions, ces mêmes investisseurs, à la recherche de rendement, souhaitant prendre plus de risque qu’auparavant (le contexte s’étant stabilisé grâce aux pare-feu mis en place au niveau européen).
Beaucoup se posent la question de ce qui justifie la hausse des marchés dans un contexte économique qui s’est pourtant sensiblement dégradé depuis des mois (hausse du chômage, baisse de la croissance, consommation atone, etc…). Et la réponse se trouve en grande partie dans les lignes précédentes. La mise en place de mécanismes de protection au niveau européen (que ce soit par la BCE ou les Etats) permettant de faire face aux risques systémiques conjuguée à la volonté politique de maintenir la Grèce dans la zone euro et d’intensifier les mécanismes d’intégration a permis d’abaisser sensiblement les tensions sur les marchés alors même que la situation économique est délicate. Mais c’était une étape indispensable que de permettre aux états de continuer à se réformer tout en ayant toujours accès aux marchés.
Avant cet été il manquait un élément essentiel : les états qui avançaient sur le chemin des réformes structurelles voyaient systématiquement leur prime de risque augmenter car les réformes supposent toujours une phase de baisse de compétitivité à court terme. Si au cours de cette phase l’accès aux financements des marchés est plus coûteux, l’effet des réformes est partiellement effacé par l’accroissement du poids de la dette.
Pour résoudre cette équation, il manquait un élément essentiel : la présence d’un garant en dernier ressort permettant aux états de poursuivre les réformes tout en veillant à ce que les taux ne s’envolent pas au cours de cette phase de transition. Le programme OMT est venu apporter la réponse à cette problématique.
Il faut toutefois rester vigilant, et le FMI l’a justement rappelé il y a quelques jours, à ce que les états européens n’entreprennent pas tous au même moment les réformes structurelles et la baisse des déficits. Si tous les acteurs européens agissent au même moment, la décélération de la croissance au niveau européen sera trop importante avec le risque d’une perte de compétitivité trop importante face aux autres puissances économiques mondiales.
En 2013, les Etats-Unis vont commencer à être confrontés à la réalité qui s’est déjà imposée en Europe depuis des mois. Celle de la maîtrise des déficits et des réformes structurelles. L’Europe est déjà dans son « fiscal cliff » depuis des mois…
Le contexte de détente du risque en zone euro devrait encore se poursuivre au premier semestre 2013 avec une poursuite de la hausse sur les marchés actions en Europe. Même si les performances économiques de la zone resteront atones l’an prochain, les investisseurs viendront chercher la performance et le rendement qu’ils ne trouvent pas sur le monétaire ou l’obligataire tout en ayant conscience que les marchés avaient survendu de nombreuses valeurs au plus fort de la crise l’an passé, lorsque les craintes d’un éclatement de la zone euro ne trouvaient pas de réponse. Il y donc un rattrapage qui s’est déjà partiellement effectué sur les derniers mois de l’année et qui devrait se poursuivre en 2013.
Il est également important d’insister sur le fait que de très nombreuses société se sont restructurées au cours des derniers mois et ont adapté la voilure au ralentissement économique pour rester compétitives. Sans oublier que de nombreux groupes européens, côtés dans les principaux indices, ont une implantation internationale et pourront continuer à bénéficier du dynamisme des zones économiques (notamment émergentes) dans lesquelles ils sont implantés. Ces éléments devraient continuer à porter les cours à la hausse au premier semestre 2013.
L’année 2013 sera surement l’année de la guerre des changes et des tensions entre banques centrales, notamment entre les Etats-Unis et le Japon, le nouveau gouvernement japonais ayant fixé comme objectif économique prioritaire la lutte contre la déflation, laissant clairement entendre qu’il mettrait la pression sur la Banque du Japon pour tenir les nouveaux objectifs d’inflation. En face, les Etats-Unis ont également tracé la ligne directrice via la FED : tant que le marché de l’emploi ne montrera pas de signe concret d’amélioration, la FED poursuivra sa politique d’assouplissement quantitatif avec pour conséquence l’affaiblissement du dollar. Les dernières minutes de la réserve fédérale ont toutefois révélé que certains de ses membres seraient favorables à un ralentissement des mesures d’assouplissement avant fin 2013 en raison notamment du coût engendré par ces mesures.
La BCE reste pour l’instant à l’écart de ces tensions mais pourrait rapidement rentrer dans le cercle car un des moteurs de la croissance reste les exportations (avec la consommation et l’investissement). Inutile de préciser qu’avec un euro à 1.30$, de très nombreux pays européens ne sont pas compétitifs à l’export…
Dans le contexte de 2013 où l’inflation ne dépassera pas 2% en zone euro, la BCE n’aura plus l’excuse du contrôle de la stabilité des prix et de l’inflation et pourra stimuler la baisse de l’euro en abaissant son taux directeur de 0.75% à 0.50%...cette baisse de la devise européenne pourrait également être catalysée par le différentiel de croissance entre la zone euro et les Etats-Unis. Si le virage budgétaire américain est négocié correctement, « 2013 pourrait être une excellente année pour les Etats-Unis» comme l’a précisé il y a quelques semaines le président de la FED.
L’année 2013 devrait également être l’année du resserrement des spreads entre les taux d’emprunt des pays de la zone euro. Il y a peu de chance d’observer une remontée sensible des taux d’emprunt de la France dans la mesure où même si les risques systémiques ont fortement baissé, la situation économique de l’Italie et de l’Espagne notamment ne devrait s’améliorer que lentement. Pourquoi parler de l’Italie et de l’Espagne quand on parle de la France ? Parce-que les dettes françaises et allemandes notamment ont fait office de valeurs refuges au plus fort de la crise, les investisseurs délaissant la dette espagnole et italienne au profit de signatures plus sûres…cela a donc permis à la France de battre des records à la baisse sur ses taux d’emprunt alors même que la situation économique se dégradait également…elle se dégradait moins vite tout simplement.
Avec la mise en place des pare-feu européens, le risque a diminué pour les pays fragiles et les investisseurs notamment étrangers ont recommencé à se positionner sur la dette espagnole ou italienne, faisant baisser les taux de ces pays ce qui a eu pour autre conséquence de voir les taux des pays les plus stables légèrement augmenter. Cette tendance devrait se stabiliser en 2013, la situation étant à la consolidation : pas de croissance mais moins de crises…
Même si l’attention médiatique a été portée en ce début d’année sur les débats entourant le mur budgétaire aux Etats-Unis et plus récemment sur les questions du prolongement du QE3 de la FED au-delà de 2013, le fil rouge restera celui de la demande d’aide potentielle de l’Espagne. Bien que le ministre espagnol des finances ait déclaré à plusieurs reprises que cette demande d’aide globale n’était pas à l’ordre du jour, il a également rappelé que l’Espagne se gardait le droit de le faire si les conditions lui paraissaient acceptables. La crainte pour l’Espagne étant de se voir imposer un train de rigueur par les bailleurs de fonds, alors que le pays est déjà confronté à la grogne sociale, à un taux de chômage record, à une récession qui dure et aux velléités indépendantistes de la Catalogne, qui génère à elle seule près de 20% des richesses du pays. Si l’Espagne effectue une demande d’aide globale (et plus seulement bancaire), cela pourrait catalyser les marchés actions à la hausse car cela déclencherait au passage le programme OMT de la BCE qui pourra dès lors intervenir sur le marché secondaire de la dette et racheter de la dette espagnole, exerçant ainsi une pression à la baisse sur les taux d’emprunt.
Sur le front des matières premières, la montée en puissance des Etats-Unis comme zone de production (pétrole et gaz) et la stagnation de la croissance mondiale a permis au baril (WTI) de rester sous les 100$ le baril après un plus haut annuel à 110$ et un plus bas à 77$. Les prévisions de croissance mondiale pour 2013 (3.6% selon le FMI), à peine meilleures qu’en 2012 ne devraient pas créer le contexte d’un renouvellement des tensions sur ce marché : le baril devrait rester sous les plus hauts de 2012. Attention toutefois aux facteurs géopolitique et l’évolution des négociations sur le programme nucléaire iranien.
En ce qui concerne les matières premières agricoles et après la flambée des prix à l’été 2012 (les prix du blé s’étaient inscrits en hausse de plus de 55% à Chicago entre juin et juillet), les prix pourraient à nouveau repartir à la hausse. En effet, au cours du second semestre les prix ont corrigé à la baisse et ont récupéré près de 50% de toute la hausse de l’été dernier. Toutefois ce mouvement de repli s’apparente plus à une correction temporaire qu’à une inversion de tendance durable, les niveaux de stocks étant toujours très bas, le marché sera toujours dépendant des incertitudes climatiques.
A la moindre alerte sur les récoltes d’une zone importante de production céréalière les cours pourraient rapidement reprendre le chemin de la hausse et venir tester à nouveau les plus hauts de 2012.
Enfin, l’année 2013 sera une année politique. Année politique pour l’Italie qui, en février, organisera des élections législatives anticipées suite à la démission « surprise » de Mario Monti. Les sondages actuels donnent peu d’espoir au parti de Silvio Berlusconi de revenir sur le devant de la scène, allégeant ainsi les inquiétudes des partenaires européens de l’Italie qui ont profité de cet épisode pour saluer les réformes entreprises par le technocrate italien. Son objectif clairement affiché est de maintenir l’Italie sur la voie des réformes et au passage de conquérir la présidence du Conseil. La réaction d’inquiétude née de l’annonce de la démission a vite été assimilée par les marchés qui ont ensuite poursuivi leur détente, signe qu’ils estiment peu probable un scénario négatif lors des élections de février.
Année politique également avec les élections législatives en Allemagne en septembre prochain. Les résultats actuels des sondages laissent assez peu de place au doute sur le renouvellement du mandat de la chancelière allemande, qui partirait ainsi sur son troisième mandat. Toutefois il lui sera plus difficile de gouverner seule et devra très probablement former une coalition incluant potentiellement les sociaux-démocrates ou encore les écologistes. Et cette recherche d’une alliance plus à gauche pourrait également conditionner une partie de la politique européenne de l’Allemagne et notamment un positionnement moins rigoriste sur le rythme et l’intensité des réformes en zone euro. Un peu à l’image des déclarations de son actuel ministre des finances Wolfgang Schaeuble qui au premier semestre 2012 tenait un discours sans concession sur le dossier grec pour ensuite infléchir sa position, permettant ainsi une issue favorable. L’objectif n’est évidemment pas de se couper de sa base mais bien de créer le contexte favorable à la formation d’une coalition en 2013. Il serait donc étonnant de voir l’Allemagne adopter un discours trop rigoriste à l’approche des élections vis-à-vis de ses partenaires européens, ce qui pourrait créer un climat favorable au prolongement de la détente du risque sur les marchés.
Enfin on ne pourrait terminer ces perspectives 2013 sans parler de l’or. Dans ce scénario de détente du risque, il est peu probable de voir l’or revenir sur les plus hauts de 2011 et 2012. La hausse du prix de l’once d’or s’est arrêtée légèrement sous les 1800$ au mois d’octobre avant de repartir à la baisse. La forte hausse de l’or entre juillet et septembre 2012 a été principalement liée à l’intervention des banques centrales (discours de Mario Draghi pour la BCE, annonce d’un QE3 par la FED et poursuite des rachats d’actifs de la part de la BoJ). Cet interventionnisme accru a généré des craintes sur d’éventuelles poussées inflationnistes, tirant ainsi les cours de l’or à la hausse. Ce qui est également intéressant de constater, c’est qu’au cours de cette même période, les investisseurs se sont repositionnés également sur des actifs risqués (actions notamment). On ne peut donc pas considérer à ce moment-là que la hausse de l’or était liée à son statut de valeur refuge vu que le climat était justement à la recherche de risque. On ne peut pas non plus parler d’effet change vu que l’once d’or est montée simultanément en euro et en dollar. Une bonne partie de la hausse de l’or en 2012 était donc construite sur des craintes inflationnistes qui se sont progressivement estompées depuis, ce qui a provoqué ce repli de l’or, repli également alimenté par la détente du risque en zone euro après les différents discours du président de la BCE et le sauvetage de la Grèce.
Il n’y a donc pas de raison de voir l’or repartir fortement à la hausse en 2013. Les craintes pesant désormais sur l’intensité du QE3 en 2013, le faible degré d’intervention de la BCE sur le marché de la dette (même si l’annonce du programme OMT a pu susciter des interrogations, la BCE a annoncé qu’elle allait stériliser les opérations de rachats de dette pour éviter d’accroître la masse monétaire) l’inflation sous les 2% en zone euro en 2013 et la déflation au Japon devrait laisser l’inflation sous couvert dans les principales zone économiques, celle où les banques centrales sont les plus actives. Même si le nouveau gouvernement japonais a ouvertement mis la pression sur la BoJ pour lutter contre l’inflation, il faudra du temps pour passer d’un schéma déflationniste à un schéma inflationniste et justifier ainsi un retour massif sur l’or pour se couvrir.
L’once d’or pourrait ainsi reculer jusqu’à 1500$ et descendre même jusqu’à 1450$, niveau qui représente 38.20% de correction (retracement de Fibonacci) de toute la hausse de 2008 (680$) à 2011 (1920$).