En 2015, près de 230 Mds€ sont gérés en ISR en France. Il s’agit principalement de fonds gérés pour le compte d’investisseurs institutionnels et d’épargne salariale.
Reste à convaincre le grand public, dont seuls 6% ont entendu parler de l’ISR (enquête IPSOS pour le Forum de l’investissement Responsable). C’est l’objectif du gouvernement qui dans la vague d’enthousiasme de la COP21 a décidé de créer deux labels pour l’ISR : le label ISR et le label TEEC (Transition Ecologique Energie Climat).
Pourquoi avoir créé deux labels publics ? Quel label privilégier ?
Eléments de réponse avec Grégory Schneider Maunoury, Responsable ISR d’Humanis gestion d’actifs.
Préexistence d’un label ISR privé en France. Il faut préciser que de 2009 à 2015 existait le label Novethic, label privé géré par Novethic, filiale de la Caisse des Dépôts. Ce label garantissait la mise en place d’un niveau minimum de sélectivité (par restriction de l’univers d’investissement) et la transparence nécessaire pour que le client puisse faire son choix. Ce label exigeait des documents (code de transparence, reporting extra-financier, composition du fonds) et s’interrogeait sur les conséquences des pratiques ISR sur la gestion du fonds (notamment dans sa composition). En 2014, ce label concernait 120 fonds ISR ouverts au publics, et regroupait 25 Mds € d’encours. Amundi, qui représente plus de 40% des encours, s’est retiré en 2012 de la labellisation de Novethic et s’est engagé dans une certification propre de ses processus d’analyse ISR. A l’inverse, une vingtaine de nombreuses sociétés de gestion européennes ont fait labelliser leur fonds ISR par Novethic.
Force est d’admettre que Novethic a eu l’intelligence de mettre la transparence au cœur de son label. Mais aujourd’hui reste à aborder la question de performance, environnementale ou sociale. Le gouvernement français a voulu abonder dans ce sens en proposant aux acteurs de la place un label ISR public.
Quel apport du label ISR gouvernemental ? Le label ISR gouvernemental a un autre objectif que celui de Novethic : garantir le caractère ISR du fonds, en exigeant des processus formalisés intégrant des critères et des éléments de reporting ISR pour que le client puisse vérifier l’impact de ces choix non-financiers. Mais ce label n’exige pas de résultat, ni de lien avec les objectifs du développement durable. Il ne demande pas par exemple que les entreprises sélectionnées aient un niveau minimal de formation des salariés ou une augmentation régulière de celle-ci. Il demande que l’univers d’investissement de départ soit réduit d’au moins 20% sur les bases des seuls notations ISR ou bien que la notation ISR interne du fonds soit supérieure à celle de son indice de référence (pour montrer que le fonds est bien influencé par ces critères extra-financiers). Cela réduit l’ISR à un système de documentation et de reporting interne aux sociétés de gestion et aborde mal la question centrale de la performance sociale ou environnementale. Par exemple, le label ISR suggère de mesurer, comme indicateur de respect des droits de l’homme, le pourcentage de salariés couverts par une convention collective. C’est l’exemple même d’une bonne intention de départ qui arrive à un résultat biaisé. En effet, une entreprise dont tous les salariés sont couverts par une convention est d’abord une entreprise présente en Europe, mais cela ne dit rien de l’affaiblissement des conventions collectives dans les 5 dernières années (par exemple chez Fiat en Italie). Autant proposer un indicateur de pourcentage d’emploi en Europe… Mais quel en serait son sens ? Cet exemple illustre bien les difficultés de mesure d’une performance sociale, ou environnementale. Il faut d’une part éviter les indicateurs d’exposition au risque, qui ne renseignent pas sur la performance ou la qualité de gestion. Il faut d’autre part écarter les indicateurs trop compliqués remplis par les seules grandes entreprises, car cela introduirait dans la gestion du fonds un biais en défaveur des plus petites structures.
Un manque de pertinence. En fait, le problème du label ISR gouvernemental est de trouver des indicateurs d’impact, c’est-à-dire des indicateurs qui puissent offrir des éléments de choix positif de titres financiers et qui permettent d’obtenir un résultat consolidé. Trois rappels sont nécessaires. D’abord, un fonds ne peut revendiquer qu’un seul objectif environnemental ou social. Il est illusoire de (faire) croire qu’on puisse poursuivre plusieurs impacts avec une seule décision d’investissement. Ensuite, seuls les impacts identifiés par une politique publique avec objectif clairement défini peuvent faire l’objet d’un choix positif de gestion. Enfin, un label public doit porter un message politique fort contenant les objectifs de politique environnementale ou sociale préalablement définis. Aujourd’hui, le label ISR s’éparpille et ne contient pas de cible structurante, ce qui fait perdre sa force et son sens de label public.
Un espoir : le label TEEC. En revanche, le label TEEC répond davantage à la nécessité de mesurer les objectifs publics affichés pour rendre l’ISR palpable et quantifiable. Techniquement, il garantit que le fonds est investi dans des entreprises (actions d’entreprises innovantes) ou des projets (obligations vertes, par exemple) contribuant clairement à la transition énergétique. Ainsi, le label impose au fonds labellisé TEEC de démontrer cet impact et de préciser que les investissements dans les énergies fossiles ou nucléaires sont exclus. Avec ce label, est proposé un indicateur de tonnes de CO2 évitées, si on investit dans des projets (exemple des obligations vertes) ou un indicateur de part verte des investissements. Ces indicateurs sont concrets et peuvent être utilisés comme des objectifs de gestion. Ce label est focalisé sur un objectif, la transition énergétique. Il définit des indicateurs d’impact clairs et mesurables. Enfin, il accompagne la loi sur la transition énergétique, ce qui lui donne force et sens.
Si le label ISR nous parait condamné à disparaître, en revanche le label TEEC paraît cohérent avec son statut de label public et apte à orienter la finance vers des investissements « propres » avec impact environnemental ou social bénéfique quantifié.
Enfin, le gouvernement pourrait s’inspirer de ce label pour développer d’autres labels thématiques, sur le développement des compétences et de la formation par exemple.
* Grégory Schneider-Maunoury, membre de la SFAF et de sa commission Développement Durable, siège par ailleurs au conseil d'administration du Forum de l’Investment.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir