Une analyse de Pascal Bernachon, stratégiste chez KBL Richelieu
Après des décennies où la Globalisation était la variable essentielle du monde économique, la notion de dé-mondialisation est depuis quelques temps à la mode. Si effectivement l’essor de la Chine et son accélération au cours des années 1990 attiraient l’implantation des usines du Monde dans ce pays disponible en main d’œuvre à coûts faibles, les facteurs ont bien changé depuis. Car la main d’œuvre se raréfie en raison d’une démographie négative et surtout d’un coût salarial désormais de moins en moins compétitif par rapport aux autres.
Nous quittons donc les grandes marées qui déplaçaient massivement les usines d’un point du globe à l’autre et c’est désormais soit une relocalisation des usines dans leurs pays d’origine soit un émaillage de celles-ci au sein de différents pays offrant un environnement salarial plus avantageux. Ce sont donc désormais le Bangladesh, le Pakistan ou le Vietnam qui sont les nouveaux terrains de jeu. C’est aussi le Mexique pour certaines entreprises américaines.
Et du côté de l’Europe, c’est désormais l’Espagne qui reçoit les marques d’intérêt des industriels allemands, français et autres à l’appui d’un coût salarial abaissé par les plans d’austérité. Ceci nous laisse à penser que l’aspect dé-mondialisation ne peut trouver ses explications dans la réalité d’un strict repli industriel national.
Les croissances des chiffres d’affaires des « Global Players » sont bien moins vigoureuses que par le passé. L’Oréal comme les sociétés de luxe voient un tassement du taux de croissance de leurs ventes et pourraient donner le sentiment que la mondialisation et donc leur présence sur l’ensemble des continents ne génère plus les espérances de hausse de chiffres d’affaires que nous constations précédemment.
Allons-nous assister à un repli géographique de ces entreprises ?
Nous ne le pensons pas, leur objectif reste d’être implantées mondialement et de maintenir leur présence sur les différentes zones pour accompagner régulièrement l’élévation des classes moyennes au sein des pays émergents en améliorant au fur et à mesure leur mix produit. Cependant, force est de constater que le comportement des consommateurs a changé : ils ne courent plus « tête baissée » vers le luxe à tout prix et favorisent parfois de nouvelles marques qui mettent davantage en avant la proximité ou l’aspect naturel/bio/national de leurs productions. Ceci d’autant plus facilement qu’Internet est un réseau de distribution et de « faire savoir » qui se moque des frontières.
Apparaissent alors de nombreuses petites marques qui se développent ou se font racheter par les leaders mondiaux du secteur.
Il faut noter aussi un changement de comportement du consommateur qui devient de moins en moins fidèle à une marque prédéterminée. Les publications récentes de résultat de l’industrie du luxe nous montrent ainsi la montée en puissance d’acteurs comme Ferragamo alors que d’autres marques affichent une moindre croissance de leurs ventes.
Est-ce le besoin de se distinguer de la part de cette clientèle dans une quête identitaire ?
Car les tenants de la Dé-mondialisation peuvent aussi analyser ce concept, non pas sur l’aspect économique que nous réfutons, mais par la crise identitaire qui naît des risques géopolitiques, de la notion de citoyenneté, des flux migratoires non contrôlés et qui génèrent systématiquement dans l’histoire, un repli sur soi. Certes de telles inquiétudes privilégient une forme de nationalisme mais la hausse des ventes des produits chinois en Chine résulte plus de la montée en gamme de la production de l’offre qui se compare désormais aux produits occidentaux que d’un rejet systématique de nos propres productions.
Sur l’aspect à la fois géopolitique et purement mercantile, comment peut-on évoquer la dé-mondialisation au moment où la Chine investit 40 Mds$ dans la route de la Soie (6 500 km) qui permettra de commercer encore plus facilement entre l’Asie centrale et l’Europe, en traversant le Moyen Orient.
Soyons lucides, la géopolitique américaine a été l’instauratrice des révolutions arabes et de leurs conséquences, malheureusement aussi désastreuses que les dictatures passées. Mais paradoxalement, point de millions de migrants de ces pays aux portes des frontières américaines. C’est la grande Europe continentale qui en subit les conséquences, ce qui explique ce repli identitaire.
Le risque étant d’affaiblir la construction européenne. Mais qui fera croire qu’un pays comme la France a encore assez de splendeur pour traiter d’égal à égal avec les pays continents ?
La Dé-mondialisation, mauvaise photo des craintes actuelles, n’évoque rien pour L’Oréal, Essilor et nombre de sociétés du CAC 40 ce thème. Elles en ont cure et continuent leur maillage propre à servir le consommateur où il se situe. Et face à de nouveaux concurrents, soyez sûrs que les meilleures d’entre elles sauront une fois de plus s’adapter aux goûts si versatiles d’une clientèle, parfois déjà suréquipée.
Le concept de dé-mondialisation, que nous préférons appeler « fracturation », est évoqué par certains en s’appuyant sur les oppositions existantes entre les politiques monétaires des différentes banques centrales, dans les différentiels de croissance des pays importateurs de matières premières face à la décroissance brutale des pays producteurs et bien sûr le risque de repli identitaire. Le monde n’avance pas au même rythme, il s’écarte en deux parties mais si on peut évoquer une fracture, ce n’est pas un délitement.
Nous réfutons donc ce concept de Dé-mondialisation en rappelant que l’analyse actuelle ne peut plus s’effectuer sur les critères des dernières années ante-crise. Le Monde a changé !
Comprendre l'économie durable pour s'y investir