Analyse de Mark Burgess, Chief Investment Officer EMOA et Responsable des marchés actions de Columbia Threadneedle Investments
La divergence des politiques restera au cœur des préoccupations. Si les taux d'intérêt américains ne seront plus dictés par une situation d'urgence, la politique monétaire en Europe et au Japon restera très accommodante et il se pourrait que la BCE et la Banque du Japon décident de mesures supplémentaires pour soutenir la croissance. Au Royaume-Uni, les prix actuels sur le marché obligataire laissent penser qu’il n’y aura pas de hausse des taux d’intérêt avant 2017.
2016 sera marquée par un contexte de croissance et de rendement faibles, des pressions s'exerçant sur les marges des entreprises en raison de la faiblesse de la demande et des surcapacités dans un certain nombre de secteurs. Les investisseurs devront être capables d'identifier les entreprises pouvant démontrer leur capacité à générer de la croissance organique - ces valeurs convoitées devraient se négocier avec une prime par rapport à leurs concurrents.
Les perspectives pour les marchés émergents restent éprouvantes, en particulier pour les pays dont l’économie repose sur la demande chinoise en matières premières. Les perspectives de ces pays sont négatives et un affaiblissement des devises pourrait se révéler insuffisant pour relancer la demande d’exportations depuis les marchés émergents, où la demande de la part des consommateurs et des entreprises reste modérée. Dans l’hypothèse où les Etats-Unis procèdent à un resserrement de leur politique monétaire, tandis que d’autres banques centrales conservent une orientation accommodante, et toutes choses égales par ailleurs, on devrait assister à un raffermissement du dollar. Cela devrait par ailleurs constituer un nouveau coup dur pour les marchés émergents, du fait de l’importante corrélation inverse entre le dollar et les marchés émergents.
En ce qui concerne les valorisations, nous continuons de trouver les actions plus attrayantes que les obligations et comptons conserver ce positionnement au sein de nos portefeuilles d’allocation d’actifs, avec moins de conviction que nous n'en avions depuis quelque temps. Cependant, par rapport à leur historique à plus long terme, les actions offrent toujours davantage de valeur que les obligations.
Une période propice aux investisseurs actifs où les fondamentaux prévaudront
En 2016, nous prévoyons une multiplication des opportunités pour les investisseurs actifs et avisés. En effet, la marée montante de mesures d’assouplissement quantitatif qui avait précédemment soulevé les bateaux du monde entier amorce son reflux. Il est dès lors logique, dans un tel environnement, d'opérer des distinctions entre les différentes classes d’actifs et au sein de celles-ci. Dans ce contexte, se concentrer sur les valorisations et les fondamentaux - ou suivre la « vieille école » en matière d’investissement, si vous préférez - est une démarche qui mériterait plus d’importance que celle qui lui a été accordée ces dernières années, lorsque les marchés étaient soutenus par des liquidités abondantes et croissantes.
Poursuite des fusions-acquisitions et maintien de dividendes élevés, perspectives plus sombres pour le crédit investment grade
Notre sentiment général est que les entreprises restent peu enclines aux dépenses d’investissement à grande échelle ou à long terme. Par conséquent, les entreprises qui ont de l’argent disponible préfèrent continuer à le restituer aux investisseurs ou à le consacrer à l’activité de fusion et d’acquisition. Dans un contexte de croissance et de rendement faibles, il peut paraître plus sensé aux entreprises de racheter ou d’éliminer la concurrence, plutôt que de rechercher la croissance organique, sans garantie de la trouver. La fusion-acquisition est généralement favorable aux actions et autres actifs plus « risqués », tels que les obligations à haut rendement. En revanche, elle a souvent des conséquences négatives pour les entreprises investment grade, car la fusion-acquisition entraîne dans bien des cas une restructuration des bilans de ces dernières. C’est pourquoi nous avons ajusté notre exposition au crédit d’entreprises au sein de nos portefeuilles d’allocation d’actifs en privilégiant les obligations européennes à haut rendement par rapport au segment investment grade. Au niveau régional, nous entrevoyons toujours des opportunités intéressantes dans les actions japonaises, ce dont nous avons tenu compte dans nos portefeuilles d’allocation d’actifs. Le Japon a affiché de bons niveaux de croissance des bénéfices, ce qui a permis aux valorisations des actions de rester attractives, malgré les solides performances du marché boursier. Cette situation contraste avec ce que l’on peut observer ailleurs dans le monde, où les valorisations des actions sont généralement tout au plus correctes et où les nouvelles en provenance des entreprises commencent à être pessimistes.
Des conditions plus favorables aux actions européennes
L'assouplissement quantitatif, la baisse des prix de l'énergie, la faiblesse de l'euro et l'assouplissement des conditions de crédit participent conjointement à l'amélioration de l'environnement commercial des entreprises européennes. Une embellie se dessine dans nombre d'économies européennes et les bénéfices domestiques européens vont selon nous continuer de contribuer solidement à la rentabilité globale des entreprises. Sur le plan international, nous surveillons les perspectives économiques de la Chine et évaluons leur impact potentiel sur les exportateurs européens et la croissance mondiale.
De nombreuses sociétés européennes, à l'exception du secteur financier, affichent des bilans et des flux de trésorerie vigoureux, qui plaident en faveur d'une croissance supplémentaire des dividendes, de rendements en espèces et d'opérations de fusions-acquisitions. Nous continuons de privilégier les entreprises disposant de solides perspectives de bénéfices et d'un pouvoir de fixation des prix. Le regain de volatilité des marchés actions est synonyme d'opportunités d’investissement attrayantes.
Les conséquences incertaines de la hausse des taux dans un environnement mondial de croissance molle
La plus grande menace pour l’année 2016 pourrait venir du fait que les indicateurs macroéconomiques et des entreprises que nous observons actuellement (croissance et inflation modérées, demande finale faible et assombrissement des perspectives de bénéfices des entreprises) ne sont pas conformes à ce que l’on s’attend de voir au moment où la plus importante banque centrale du monde, la Fed, s’apprête à amorcer un cycle de resserrement monétaire. Il est clair que la Fed a hâte de lancer la normalisation de ses taux d’intérêt. Cependant, si l’on se contente d’observer les données brutes, on peut difficilement en conclure que la Fed a besoin de relever ses taux de manière rapide ou agressive. Les derniers chiffres de l’emploi aux Etats-Unis sont positifs, mais doivent être replacés dans leur contexte : les taux de participation au marché du travail outre-Atlantique sont toujours à leur plus bas niveau depuis 40 ans.
Les marchés anticipent une intervention de la Fed et nous nous attendons à ce que le FOMC relève les taux de façon contrôlée et raisonnable. Néanmoins, étant donné la grande importance que les marchés ont accordée aux indications prospectives et aux « dot plots » de la Fed, le risque demeure que celle-ci perde le contrôle sur la trajectoire qu’elle souhaite imprimer, comme cela lui est arrivé à plusieurs reprises en 2015. Les volte-face des décideurs politiques ont tendance à déstabiliser les marchés. C’est pourquoi il est important que la Fed conserve la maîtrise de ses communications en 2016.
Le ralentissement de l'économie chinoise, un problème persistant pour certains marchés émergents
L’autre grande inconnue, de notre point de vue, est la Chine. Elle connaît actuellement un ralentissement économique, mais nul n’est en mesure d’en estimer avec certitude la durée et la gravité. Selon nos estimations, la croissance économique du pays sera inférieure aux 7,5% observés ces dernières années, mais elle restera néanmoins positive, soutenue par la consommation intérieure. Pour que la croissance passe sous le seuil de 0%, il faudrait non seulement un effondrement de la consommation, mais également que le gouvernement décide de ne pas intervenir et de ne rien faire pour relancer l’économie. Or, ce cas de figure nous semble peu probable. Le ralentissement économique en Chine est néanmoins en passe de compliquer la situation, en particulier pour quelques autres économies émergentes. Jamais auparavant une expansion de crédit comme celle que nous avons pu observer en Chine ne s’est bien terminée.
Sommes-nous plus proches de la prochaine crise que de la précédente ?
Le principal problème sur lequel les investisseurs doivent s’attarder, selon moi, est celui de la croissance économique : pourquoi est-elle si faible ? La faillite de Lehman Brothers, point de départ de la crise financière, a eu lieu il y a plus de 7 ans. Pourtant, en dehors des Etats-Unis, la croissance peine à revenir. Nous pensons qu’en 2016, les investisseurs commenceront à remettre en question certaines des politiques adoptées par les banques centrales et se demanderont si ces stratégies soutiennent effectivement la croissance ou si elles l’entravent.
Une opinion de plus en plus répandue est que, si le QE a créé les conditions nécessaires pour que les entreprises empruntent et investissent dans leurs activités, il a également contribué à maintenir en vie des « entreprises zombie » qui auraient dû faire faillite depuis longtemps. En d'autres termes, le processus de « destruction créatrice » n'a pas pu suivre librement son cours habituel après la grande crise financière et, par conséquent, le monde se trouve à présent confronté à un problème de surcapacités. Leurs effets indésirables sont amplifiés par le ralentissement macroéconomique qui est en cours en Chine. Si les entreprises bénéficiant d'une offre de produits différenciée et de barrières à l'entrée élevées peuvent encore prospérer, toutes les autres pâtissent de cette situation. Le fait que la crise de Lehman se soit produite voici plus de 7 ans signifie également que, selon toute vraisemblance, nous sommes plus proches de la prochaine crise que de la précédente. Un élément que les investisseurs doivent garder à l'esprit au moment de composer leurs portefeuilles pour 2016.
La faiblesse persistante des cours pétroliers pourrait entraîner la faillite de certains producteurs
Une chose dont nous pouvons être sûrs, dans l’hypothèse où la situation reste inchangée, est que la pression baissière sur l’inflation apparente exercée par la faiblesse des prix pétroliers ne devrait plus se ressentir dans les chiffres de 2016. En effet, l’inflation, et plus particulièrement le fait qu’elle se rapproche ou non du niveau ciblé par les banques centrales, sera un point crucial dans la mesure où cela pourrait constituer un facteur déterminant dans la décision de la Banque du Japon et de la BCE de continuer ou non à prendre des mesures de soutien.
Nous garderons un œil attentif sur l'évolution des prix du pétrole : aux niveaux actuels, les producteurs qui ont des coûts plus élevés et certains des moins gros producteurs de pétrole de schiste perdent de l'argent, tandis que d'autres continueront à produire afin de générer des flux de trésorerie. Si ces producteurs ont pu par le passé couvrir la production livrable à 1 an à des niveaux sensiblement supérieurs au prix au comptant (tablant sur un rebond des prix du pétrole), tel n'est plus le cas. En effet, il est nécessaire de considérer des échéances particulièrement lointaines sur la courbe des prix à terme afin d'identifier des prix sensiblement supérieurs à ceux pratiqués actuellement. On risque donc de voir certains des producteurs les plus fragiles et dont les coûts sont plus élevés faire faillite l'année prochaine. Le secteur de l’énergie représente une part significative de l’univers du haut rendement américain et les investisseurs doivent y prêter attention.
L'incertitude liée au Brexit pourrait accroître la volatilité
Un sujet qui retiendra l'attention en 2016 est celui du « Brexit » - éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’UE. Les marchés ne manifestent actuellement aucune inquiétude à ce sujet. Comme nous avons pu l'observer lors du référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, les marchés peuvent faire preuve de complaisance à la veille d'un référendum et ainsi engendrer de la volatilité à court terme lorsque les investisseurs commencent à réaliser qu'un « bon » résultat n'apparaît plus aussi certain qu'auparavant. Pour l'instant, les sondages indiquent que la plupart des Britanniques voteraient en faveur du maintien dans l’UE, mais un tel résultat ne peut être tenu pour acquis.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir