« Tout au long des débats sur la loi ALUR, la FNAIM n’a cessé de mettre en garde le législateur sur les conséquences de mesures excessives ou imprécises. On en a un nouvel exemple avec la protection du locataire âgé, dispositif louable en soi mais brouillé par la complexité de sa mise en œuvre, aggravée par la récente loi Macron », regrette Jean-François Buet, président de la FNAIM. Explications.
L’archétype du bon locataire
Les personnes âgées de 60 ans et plus constituent, a priori, une clientèle de premier choix pour les propriétaires bailleurs. Ce sont généralement des locataires stables et soigneux qui disposent, avec leur pension de retraite, de revenus pérennes et connus d’avance.
En vieillissant, le locataire, surtout s’il est de condition modeste, peut redouter que son propriétaire lui donne congé, ce qui l’obligerait à chercher une autre location et à déménager. C’est pourquoi, la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d’habitation prévoit une protection particulière en sa faveur.
Congé sous condition. Dans sa version d’origine, le texte obligeait le propriétaire donnant congé à proposer, à son locataire, un nouveau logement comparable, lorsque le dit locataire était âgé de plus de 70 ans et que ses ressources annuelles étaient inférieures à une fois et demie le montant annuel du SMIC. Une exception était toutefois prévue. Le bailleur, personne physique, âgé de plus de 60 ans ou disposant de ressources annuelles inférieures à une fois et demie le montant annuel du SMIC pouvait délivrer congé sans avoir à reloger son locataire âgé.
Une surprotection contreproductive
« Pendant 25 ans, le dispositif issu de la loi de 1989 a plutôt bien fonctionné, occasionnant peu de contentieux. Mais, alors même que l’espérance de vie augmente et que l’âge de la retraite est sans cesse repoussé, la loi ALUR est venue avancer l’âge de protection du locataire », remarque Jean-François Buet.
Depuis le 25 mars 2014, date de la promulgation de la loi ALUR, l’obligation de proposer un autre logement s’applique en cas de congé donné à un locataire âgé de plus de 65 ans, au lieu de 70 ans auparavant. A l’égard du propriétaire, en revanche, la logique est respectée : l’âge pour échapper à cette obligation passe de 60 à 65 ans. Deux poids, deux mesures.
Indisponibilité du bien. Il y a des propriétaires qui souhaitent louer un logement pendant un nombre limité d’années, notamment parce qu’ils projettent de le reprendre ensuite pour eux-mêmes ou pour y loger un proche : un enfant devenu adulte ou un parent, par exemple.
Ceux-là pourront s’interroger sur l’opportunité de louer à une personne d’une soixantaine d’année : à l’échéance du premier bail de 3 ans ou de son renouvellement, ils risquent d’avoir à proposer au locataire un autre logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, une obligation difficile à remplir en pratique.
Effet inverse. C’est pourquoi, lors de la mise en location du bien, face à deux candidats locataires aux garanties équivalentes, au risque de commettre une discrimination pourtant pénalement sanctionnée, certains propriétaires pourront avoir la tentation de préférer un trentenaire à un jeune « sexagénaire ». La protection se retournera ainsi contre ceux que l’on voulait protéger...
La coupable imprécision des textes
La réticence du propriétaire sera d’autant plus compréhensible que le législateur vient d’instiller deux dispositions piégeuses supplémentaires, l’une concernant le plafond de ressources à prendre en compte, l’autre visant le cas où le locataire a recueilli chez lui une personne à charge.
Plafond de ressources. La loi ALUR a abandonné la référence au SMIC pour lui substituer le « plafond de ressources en vigueur pour l'attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement ».
Problème, il existe beaucoup de plafonds fixés par arrêtés pour l’attribution des logements locatifs conventionnés (conventionnement ANAH social, conventionnement ANAH très social, conventionnement ANAH intermédiaire, conventionnement APL, etc.). Cette imprécision sera source de contentieux, à n’en pas douter.
Personne à charge. La loi Macron du 6 août 2015 a étendu l’obligation de proposer un nouveau logement au locataire à qui l’on délivre un congé si celui-ci vit dans le logement avec une personne à sa charge âgée de plus 65 ans qui remplit personnellement la condition de ressource, mais aussi à la condition que l’ensemble des ressources des personnes vivant au foyer soit inférieur au plafond. Un plafond toujours aussi difficile à déterminer. Auparavant, il était admis que la protection profite à tous les titulaires du bail, lesquels étaient connus du propriétaire. Désormais, il suffit au locataire, quel que soit son âge, de justifier qu’il partage son logement avec une personne à charge de plus de 65 ans pour s’opposer au congé (sous réserve de remplir la condition de ressources).
« Voilà qui n’est pas sans rappeler la transmission intergénérationnelle du droit au maintien dans les lieux figurant dans la loi du 1er septembre 1948, à l’origine de tant d’abus et de fraudes, nourrissant un important contentieux devant les tribunaux. Ce n’est sûrement pas avec des dispositions de cette nature que l’on encouragera l’investissement locatif privé dont notre Pays a pourtant si besoin et que l’on règlera le problème du logement des séniors qui ne cessera de croître avec l’allongement de la durée de vie … à l’heure où le Parlement délibère sur le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement », conclut Jean-François Buet.
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