Par Claudia Bernasconi, Economiste spécialiste des marchés émergents et Eric Bourguignon, Directeur de la Gestion Taux et Crédit chez Swiss Life AM
Au-delà de la déstabilisation brutale des marchés boursiers internationaux dont il a été le détonateur, l’épisode chinois du mois d’août a surtout de quoi modifier assez sensiblement les équilibres financiers et monétaires globaux.
Décryptage de l’onde de choc chinoise
La surprenante dévaluation du taux de change du yuan décidée le 10 août dernier par les autorités chinoises a été interprétée par les intervenants de marché comme une mesure d’urgence, signe d’une soudaine aggravation de la situation économique du pays. Cette perception à altéré le sentiment de marché et déclenché une importante correction boursière. Pourtant le ralentissement chinois n’est pas né cet été, il correspond d’ailleurs à un mouvement structurel et légitime de convergence économique, après deux décennies d’un essor fulgurant.
Les marchés émergents fragilisés
Sur le plan économique, le ralentissement chinois a aujourd’hui un impact très différencié sur les zones géographiques du globe. Rappelons que le pays contribue pour un tiers à la croissance annuelle mondiale et pèse 17% du total du PIB. Une baisse d’un point de pourcentage de la croissance chinoise coûte 0,2 point de pourcentage à la croissance globale. Les marchés émergents, dont certains sont déjà confrontés à des difficultés structurelles, y sont les plus vulnérables. C’est en particulier le cas de la Corée du Sud, de Singapour, de Hong Kong et des « Tigres » asiatiques (Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Vietnam, Philippines), partenaires commerciaux de proximité du géant chinois, et des pays d’Amérique latine, pour qui la Chine représente la première destination d’export de matières premières.
Les économies développées sont, elles, relativement épargnées. La Chine n’a pas un poids disproportionné dans les exportations occidentales. Pour la zone euro, cette destination compte pour seulement 1% de son PIB. La situation chinoise pèse certes sur la demande énergétique mondiale et pénalise les revenus des pays exportateurs, mais il faut aussi retenir que le déclin des cours des matières premières profite par ailleurs à l’amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs européens et américains.
La Chine se débarrasse de ses actifs obligataires américains
C’est surtout sur les marchés financiers que les bouleversements sont les plus significatifs. Le changement de régime de change chinois a provoqué une redistribution des flux d’investissement.
Au cours de la dernière décennie, la Banque populaire de Chine a accumulé des réserves de change phénoménales (qui s’élevaient à 4 000 Mds$ à l’été 2014, contre 3 560 à la fin du mois d’août dernier !) via la non convertibilité du yuan et l’obligation pour les exportateurs chinois de mettre en dépôt leurs devises étrangères. Cette force de frappe monétaire a permis à la Chine non seulement d’injecter directement des liquidités monétaires dans son économie pour stimuler la demande, mais aussi de recycler ses dollars en investissant massivement dans la dette souveraine des Etats-Unis.
Jusqu’à cet été ! Dépassée par la force des pressions vendeuses sur le yuan qu’elle a elle-même causée, la banque centrale a tenté tant bien que mal d’amortir les sorties de capitaux d’investisseurs domestiques. La Banque Populaire de Chine s’est donc débarrassée rapidement de quantités de bons du trésor américains. Ces ventes actuellement ont un impact sur la liquidité des marchés obligataires et pourraient, si elles perduraient, provoquer une hausse des taux d’intérêt américains.
Du côté des investisseurs privés chinois, là aussi, la dynamique de flux a profondément évolué. Alors que la banque centrale a rapatrié ses avoirs américains, les opérateurs locaux, traditionnellement fidèles au marché financier domestique, ont, eux, réalloué leurs capitaux à l’extérieur du pays. Loin d’être un simple arbitrage à court-terme, cette tendance est toujours vigoureuse plus d’un mois après le crash d’août.
Bellicisme monétaire à l’échelle mondiale
Ce double redéploiement est donc en train de soutenir l’investissement dans les marchés boursiers européen et américain, au détriment du financement de la dette publique américaine. Autre enseignement, il faut s’attendre à une recrudescence du bellicisme monétaire à l’échelle mondiale. La dévaluation du yuan pèse sur les économies des autres régions. Elle engendrera une réponse forte de leurs banques centrales.
Les pays du Sud-est asiatique, concurrents de la Chine à l’export, vont devoir rester très actifs pour entretenir la compétitivité de leurs monnaies. La Réserve fédérale américaine a déjà pris la mesure de ces évolutions et des craintes suscitées par le ralentissement chinois en reportant le relèvement de ses taux directeurs, initialement attendu en septembre, malgré la robustesse de l’économie américaine. Une fois n’est pas coutume, la Fed a donc considéré l’environnement global avant même la santé économique américaine. En Europe, la BCE se donne la possibilité de prolonger son programme d’assouplissement quantitatif au-delà de septembre 2016 et de déployer de nouvelles mesures ultra-accommodantes. Les perspectives de faible inflation au niveau mondial, qu’accentue le ralentissement de la demande chinoise, ainsi que le niveau de l’euro, devraient inciter la banque centrale à agir.
Rarement dans l’histoire économique, la guerre des changes n’aura semblé aussi féroce !
Comprendre l'économie durable pour s'y investir