… de Steen Jakobsen, Economiste en chef Saxo Bank.
Cette année, je n’aurai qu’un seul souhait à formuler : que tous les politiciens, économistes et dirigeants de banques centrales prennent des vacances pour, disons, les cinq prochaines années.
Si celui-ci se réalise, je vous promets une croissance de 3% en Europe et de 5% aux Etats-Unis, ainsi que des réformes en Asie qui permettront ensuite au continent de reprendre intelligemment sa place dans l’économie mondiale. Oui, c’est aussi simple que cela.
Depuis six mois, j’ai souvent irrité les gouvernements en martelant que leurs politiques macroéconomiques allaient dans la mauvaise direction. Ce qui me soucie le plus, c’est qu’ils réfutent mes idées en rétorquant que leurs interventions ont été couronnées de succès. Franchement, pour paraphraser John McEnroe… « they cannot be serious » !
Le chômage des jeunes : plus élevé dans les pays du Club Med que dans la bande de Gaza. ! La politique de l’autruche (on ferme les yeux sur la réalité et on repousse les échéances) semble avoir franchi de nouvelles limites alors que l’on voit les taux d’intérêt s’effondrer dans les pays d’Europe du sud et que nos décideurs politiques s’en félicitent bruyamment. Pendant ce temps, le taux de chômage des jeunes de plusieurs pays européens dépasse celui constaté dans la bande de Gaza (45%) où l’économie, toutes proportions gardées, souffre pourtant d’un contexte politique et financier légèrement plus compliqué.
Des prix sans signification. Le marché des taux souverains manque d’un véritable « mécanisme de détermination des prix ». Nous avons tous été habitués à utiliser la courbe des taux comme un instrument de mesure du risque, mais les politiques macroéconomiques actuelles ont véritablement détruit cette courbe des taux. Les flux de trésorerie, la valorisation des actifs ou tout autre investissement, sont des notions qui ne doivent pas seulement prendre en compte le prix que le marché peut accepter, mais aussi la valeur-temps et le coût de l’argent. Je persiste à penser que nous avons besoin d’une vraie crise qui vienne démystifier les fondements de la politique économique actuelle et nous permette de renverser l’orthodoxie macroéconomique qui prévaut actuellement. C’est en effet le seul moyen de faire place nette à de futurs changements.
Les taux des pays « Club Med » sont à la baisse, mais la fuite des capitaux continue. Les banques des pays « Club Med » s’affairent à acheter des obligations de leur gouvernement, avec le sentiment, probablement exact, que l’élection allemande de septembre 2013 leur offre une « fenêtre de tir ». Pendant ce temps, les ménages de ces mêmes nations continuent de retirer l’agent de leur propre pays. Voilà qui n’offre pas un message très cohérent, mais pour ceux qui vivent au Pays Fantastique du Quantitative Easing, la route de brique jaune du rééchelonnement de la dette semble se dérouler éternellement.
Un consensus au beau fixe. D’après le consensus, l’environnement actuel, composé de politique monétaire accommodante, de stabilité politique et de valorisations « raisonnables », crée les conditions idéales, non seulement pour un rallye de fin d’année, mais aussi pour une très belle année 2013. N’est-il pas ironique de constater qu’il y a un an, le même consensus s’attendait à une année 2012 plutôt difficile pour les actions (pour les stratégistes, une année difficile signifie une performance de marché comprise entre zéro et quelques pourcents) ? Prévisions du consensus Bloomberg sur le S&P500 à fin 2013. Notons ici que le S&P500 cotait 1277 points l’année dernière à pareille époque, ce qui signifie que certains analystes tablaient bien sur une baisse et que l’estimation moyenne était une hausse de 5% dans l’année. L’optimisme – en relatif – est donc deux fois plus élevé cette année et il n’y a pas un seul stratège pour croire à une baisse du S&P500. Cela devrait nous pousser à nous interroger sur cette vision simpliste du risque dans laquelle nous vivons. L’environnement est totalement binaire : le risque est en position « on » ou « off », sans aucune nuance de gris.
En conclusion, nous continuons à avoir une position vendeuse sur l’USD/JPY et l’AUD/USD et au contraire nous sommes acheteurs sur l’USD/ZAR. Nous avons pris hier une petite position optionnelle vendeuse sur le S&P 500 (décembre / prix d’exercice : 1.380 points), avec une échéance au 21 décembre à 13h25, mais nous attendons dans l’ensemble des niveaux plus réalistes pour revenir sur le marché.
Pour 2013, nous nous intéressons à des secteurs comme l’agriculture, l’aluminium et l’assurance. Pour l’agriculture, nous étudions surtout le rapport entre l’offre et la demande, avant les préoccupations météorologiques. Concernant l’aluminium, les coûts énergétiques représentent 25% des coûts de production totaux : or, les producteurs américains bénéficient d’un prix du gaz naturel au plus bas depuis 10 ans, ce qui impacte favorablement le coût de leur alimentation en électricité. Enfin, la plupart des compagnies d’assurance, toujours plombées par les craintes d’un « risque AIG », se traitent à moins de 50% de leur valeur d’actif.
Encore une fois, qu’on me permette d’insister sur ce point : je vois 2013 comme une année de transition où des forces positives et négatives vont s’affronter. On pourrait voir apparaître de vives tensions sociales et une certaine radicalisation politique en Europe, avec des jeunes sans travail s’opposant à leurs aînés en place et un secteur privé signifiant au secteur public que « trop, c’est trop ». Ce qui me préoccupe le plus, c’est la migration politique vers les extrêmes. L’histoire nous rappelle que c’est ainsi que les choses vont évoluer mais, pour l’heure, le marché n’a que deux choses en tête : les vacances de Noël et un univers composé de taux bas et de risques évaporés qui semble s’être installé là pour toujours.
Bons trades, Steen Jakobsen, Economiste en chef Saxo Bank