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« Gréférendum » : l’avis de Philippe Waechter de Natixis AM

Le cadre de la zone euro a changé de façon spectaculaire ce week-end. En effet, dans la nuit de vendredi à samedi, Alexis Tsipras, le premier ministre grec, a annoncé la tenue d'un référendum, en terre hellène,  sur les mesures souhaitées par la troïka (Union Européenne, BCE, FMI) dans le cadre des négociations sur le sauvetage de la Grèce.

Cette option n'était pas anticipée puisque les négociateurs grecs l'ont apprise par twitter. La rupture implique la fin, au moins temporaire, des négociations. Celles-ci, avec l'irruption du référendum, n'ont plus de raison d'exister, les points de vue n'étant plus compatibles.

Face à ce changement brutal, l'Eurogroup s'est réuni d'urgence samedi. Il a considéré que la date limite de mardi pour la fin du protocole sur les engagements entre la troïka et la Grèce était maintenue. Il n'y a pas de délai supplémentaire, comme demandé par la Grèce, sauf changement majeur. Le patron de l'Eurogroup, Jeroen Dijsselbloem, a laissé la porte entrouverte à la réouverture des échanges, en cas de revirement grec. Cela implique que mardi soir, au-delà de la négociation, c'est l'ensemble du processus qui est fragilisé et remis en cause.

Sur ce point, trois éléments à retenir

- L'ensemble du processus de négociation est en échec. Le deuxième plan de sauvetage de la Grèce ne sera pas allé jusqu'au bout, n'ouvrant pas ainsi la voie vers un troisième qui aurait pu éventuellement s'intéresser à la restructuration de la dette grecque. L'absence de discussions sur la restructuration et la réduction de la dette a été un élément clé car la Grèce restait avec ce stock de dette devenu ingérable alors qu'une récession supplémentaire menace l'économie. Ce facteur a forcément joué dans l'option prise par Tsipras.
- La Grèce ne sera probablement pas capable de rembourser le 1,6 Mds€ dû au FMI et sera de ce fait en défaut.
- Le premier aspect prive la Grèce de moyens pour se maintenir à flots, le second crée un précédent sur la capacité de la Grèce à faire face à ses engagements. Sur ce plan, l'étape suivante est le remboursement le 20 juillet de 3,5 Mds€ à la BCE, un engagement que la Grèce n'aura très probablement pas les moyens d'honorer.

 

Que peut-il se passer maintenant ?

La Grèce va tenir un référendum le 5 juillet et la question portera sur le souhait des grecs d'accepter les réformes et mesures présentées, jeudi dernier, par la troïka. La question ne portera pas sur l'appartenance à la zone Euro.

Avant cela, la Banque de Grèce, avec l'aide de la BCE (la Banque de Grèce fait toujours partie du Système Européen de Banques Centrales), mettra en place un système de contrôle des capitaux. L'objectif est de réduire les sorties des liquidités des banques afin de ne pas affaiblir davantage le système bancaire. Le flux de sortie, qui s'est accéléré ces derniers jours, n'est pas tenable pour le système bancaire grec. Il faut régulariser. C'est pour cela que les banques grecques seront fermées lundi, le temps de mettre en place ce contrôle et d'éviter un flux excessif de retrait.

La BCE a annoncé dimanche qu'elle maintenait le montant des liquidités allouées aux banques grecques dans le cadre de la procédure ELA, dont le montant est d'environ 90 Mds€. Ceci est une contrainte pour les banques puisque les sorties devraient s'accélérer au cours de la semaine et donc les besoins de liquidités vont s'accentuer (je n'imagine pas une fermeture des banques au-delà de lundi). La BCE ne prend pas position ni d'engagements sur le futur, indiquant simplement que la situation pourrait évoluer. De toutes les façons, le cadre de la négociation est ouvert jusqu'à mardi et de ce fait la BCE doit, pour l'instant, rester dans ce cadre.

 

Quelles sont les prochaines étapes ? Clairement, l'étape décisive sera le 5 juillet.

Un "non" accentuerait brutalement et fortement le risque d'une sortie de la Grèce de la zone Euro. Le processus de négociations ne pourrait pas reprendre et la porte entrouverte se refermerait. La BCE n'aurait plus alors de raison de refinancer le système bancaire grec puisque le cadre qui définissait cette opération est forclos.

Dès lors, le système bancaire ne fonctionnerait plus et la Grèce devrait trouver les moyens d'émettre une nouvelle monnaie. Celle-ci verrait sa valeur se réduire de 60 à 80 % par rapport à l'euro. C'est généralement l'ordre de grandeur des dépréciations dans le cas d'un défaut. Plus ce risque se rapprochera, plus les grecs seront tentés de sortir leurs liquidités du système bancaire, accentuant le dysfonctionnement global. Le risque immédiat est une récession plus marquée en amplitude et dans la durée.

Un "oui" massif au référendum a toutes les chances de se traduire par la réouverture des négociations et par la signature d'un accord car le résultat du référendum suggèrera l'assentiment des grecs aux efforts demandés par la troïka même si cela se traduit par une récession supplémentaire. Ceci étant, la question posée sera de savoir avec qui la troïka pourra signer. Un vote "oui" massif serait un désaveu majeur pour le gouvernement actuel qui appelle à voter non. Il ne pourra que démissionner et l'accord ne pourra être signé que par le successeur d'Alexis Tsipras comme premier ministre. Malgré ce retour "à la normale" l'économie est déjà  affaiblie par la longue période d'incertitude et sa capacité à rebondir est réduite. La situation économique resterait très fragile pendant encore un moment. La situation serait très ambigüe en cas de voix partagées.

Si le "non" l'emportait, la situation deviendrait rapidement problématique en Grèce car le changement de monnaie et sa dépréciation, le choc négatif, au moins dans un premier temps, sur l'activité et l'incertitude politique créeraient les conditions d'une instabilité politique significative. En outre, la baisse de l'activité et l'impossibilité pour le gouvernement de se financer à l'extérieur se traduiraient par un repli significatif des rémunérations et des pensions de retraite, notamment dans le secteur public, accentuant l'instabilité. Si le "oui" l'emportait de façon significative, les mesures proposées par la troïka lors des négociations de vendredi (avant l'alerte du référendum sur twitter) pourraient permettre de réduire les risques et minimiser l'impact d'une éventuelle contagion.

 

Pour la zone Euro, la situation n'est pas forcément simple non plus en cas de "non" et cela à plusieurs niveaux.

Le premier est qu'une sortie de la Grèce créerait un précédent. La construction européenne devient, de fait, réversible. Cela impliquerait que d'autres membres de la zone pourraient, via un référendum, trouver l'opportunité d'une sortie.
Au regard des tensions politiques que l'on perçoit en Europe sur la question de l'appartenance à la zone Euro, il est clair que des tensions internes fortes pourraient apparaître. Cela peut dans le même temps permettre de compter les camps.
L'autre aspect est que les investisseurs non européens vont regarder cette situation comme particulière. La question de la réversibilité, déjà présente dans les questionnements que l'on peut avoir avec ces investisseurs, sera encore plus présente. Cela devrait entrainer une méfiance accrue vis-à-vis de la construction européenne. De manière directe cela peut être pénalisant pour la dynamique des marchés financiers.

Le second point est celui du risque de contagion avec la possibilité de voir apparaître des primes de risques vis-à-vis des pays appréhendés comme risqués. Bien sûr, la BCE dispose de moyens considérables pour y faire face, ne serait-ce que les 60 Mds€ dont elle dispose chaque mois dans le cadre du quantitative easing. Benoit Coeuré avait évoqué la possibilité de moduler les dépenses durant l'année en fonction des contraintes du moment (acheter plus lorsqu'il y a beaucoup d'émissions de dettes souveraines, un peu moins sinon), on peut imaginer une modulation par pays avec la contrainte de respecter les équilibres sur l'année (le poids des achats de la dette de chaque pays correspond à son poids dans le capital de la BCE).

Le troisième point est que l'incertitude que crée l'éventuelle sortie de la Grèce pèsera sur la conjoncture économique. Car le cadre de la zone Euro aura changé si la Grèce sort (voir plus loin). Si certains pays ont des primes de risque, est ce que les entreprises iront y investir aussi facilement ? En outre, si le cadre change il faudra que les nouvelles règles s'affirment et, tant que ce ne sera pas le cas, on peut imaginer des comportements plus attentistes.
Le changement majeur, en cas de sortie de la Grèce, est une rupture dans la construction européenne. Outre la réversibilité susceptible d'engendrer davantage d'incertitude, il est clair que la hiérarchie des priorités a changé. Lorsque le 26 juillet 2012 Mario Draghi évoquait la capacité pour la BCE de faire tout le nécessaire afin de sauvegarder la zone Euro, il faisait d'abord référence à la construction politique. La volonté de vivre ensemble était indiquée comme primordiale alors que l'euro n'était qu'un instrument. Ce qui paraissait alors essentiel était cette construction politique et la BCE se chargeait du fonctionnement de l'instrument.

Aujourd'hui et depuis le début, la stabilité financière de la zone Euro est mise en avant et la sortie éventuelle de la Grèce indique que ce cadre politique, cette envie de vivre et de construire ensemble a été relégué derrière la stabilité financière. La hiérarchie a changé en acceptant la possibilité de sortie d'un pays. Cette réversibilité suggère alors qu'un cadre politique unifié a peu de chance de voir le jour.Si un pays peut en sortir alors le cadre unifié n'a plus de sens.

L'espoir d'un approfondissement de la zone Euro, via la mise en place d'une structure politique capable de coordonner et de rendre coopérative la politique économique et in fine de créer une dette commune (eurobonds), devient une chimère. Il faudrait la manifestation rapide d'une volonté politique forte pour inverser cette perception.
Cela veut dire que les mécanismes d'ajustement qui n'existent pas ou peu au sein de la zone Euro et qui permettraient la convergence vers une zone monétaire optimale ne verront pas le jour. Le système se transforme dès lors en un système de change fixe avec certes une banque centrale mais plus d'attente d'une dynamique commune et cohérente. Dans un système de change fixe, tout le monde doit aller à la même vitesse, c'est ce qu'avait montré le Système Monétaire Européen avec plusieurs dévaluations et in fine l'élargissement des bandes de fluctuations. 

Les européens depuis longtemps connaissent les reproches faits par les économistes américains, principalement, sur la zone Euro. Le manque de mécanismes d'ajustement (mouvements de population, politique budgétaire fédérale) était perçu comme pénalisant et à juste titre. Les européens pensaient néanmoins que la volonté collective permettrait de mettre en place des mécanismes de cohérence et de coordination. Chacun savait que la zone Euro n'était pas une zone monétaire optimale mais chacun espérait, attendait un changement et la convergence vers cette situation.

Cette flamme est aujourd'hui soumise à une bourrasque et seul un sursaut politique fort et durable permettra de la protéger et de repartir de l'avant dans la construction politique de la zone Euro. C'est cela le challenge des prochains mois pour Jean Claude Juncker, Mario Draghi, Angela Merkel et les autres gouvernements de la zone.

A court terme, sur les marchés financiers, la hausse de l'incertitude va accentuer la volatilité et renforcer le poids des pays perçus comme refuge.

L'Allemagne
qui a finalement imposé sa façon de poser le problème grec en ne souhaitant pas négocier la réduction de la dette apparait comme le vainqueur et bénéficiera de sa valeur refuge. Les développements du week-end devraient se traduire par une interrogation sur le profil des pays périphériques puisque désormais le processus européen deviendrait réversible en cas de non au référendum.

www.nam.natixis.com

 

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