La situation en France est proprement indigne : plus que partout ailleurs dans le monde, le clivage est total entre ceux qui décident, dans l'exécutif ou dans le corps législatif, et les forces vives de la nation, pour reprendre l'expression consacrée.
Par François Gagnon, Président ERA Europe et ERA France
Rares sont les entrepreneurs qui briguent des mandats publics et les acteurs de l'économie sont pour l'essentiel dans les mains de femmes et d'hommes sans conteste intelligents, mais méconnaissant le monde de l'entreprise. Nous vivons sur un principe très contestable : comme le vieil adage considérait qu'il était dangereux de confier aux militaires le maniement des allumettes, on estime en France que les acteurs de l'économie seraient bien incapables de décider de ce qui est bon pour l'économie. Soit.
Ce principe serait vertueux à deux conditions. Il faudrait d'abord que les décideurs politiques soient compétents en matière d'économie et d'entreprise, et il faudrait qu'ils vivent le même lien que les entrepreneurs entre le mérite et sa reconnaissance financière. Aucune de ces deux conditions n'est remplie. Moins de 5% des sénateurs et moins de 3% des députés sont des chefs d'entreprise. On pourrait ajouter de l'ordre de 6% de cadres du secteur privé pour être complet*. En clair, moins d'un parlementaire sur dix est familier de l'entreprise.
Au gouvernement ou à la tête des exécutifs locaux, même constat. Comment y remédier ? L'Assemblée a institué une période d'immersion d'une semaine par an. Pas de sanction en cas de manquement et pas de précision quant aux conditions du stage... On peut douter que le député soit traité comme un collaborateur ordinaire.
Quant à la reconnaissance financière, l'indemnité parlementaire ou ministérielle, complétée de diverses lignes peu lisibles allant de l'indemnité mensuelle informatique aux frais de représentation, est totalement décorrelée des performances et des résultats.
Jusqu'à quand les Français accepteront-ils que le ministre du travail soit rétribué à même hauteur que le chômage augmente ou diminue ? Ou encore que la rémunération de la ministre de l'éducation soit sans rapport avec l'évolution du nombre de jeunes sortant chaque année du système sans qualification ?
Les entrepreneurs sont, eux, dans un système tout autre : les efforts et la justesse de l'action conditionnent le chiffre d'affaires et les bénéfices. Pas de place pour le détachement, l'abstraction ou l'indifférence à la réalité et au marché.
Il est urgent que la rémunération des politiques soit pour partie indexée sur leurs résultats. Il faudrait préalablement bouleverser un principe: en France, le mandat n'est pas impératif, c'est-à-dire qu'un élu n'a aucune obligation de respecter son programme et ses promesses. Du coup, il n'est pas juridiquement lié par ses engagements. Ce lien juridique doit être rétabli et avec lui la relation entre la feuille de paie et l'atteinte des objectifs.
Cette insupportable distance entre l'action et ses conséquences valent pour la politique en général. Elle vaut plus encore pour l'immobilier. Les décisions y sont prises sur la base de deux malentendus. Le premier ressortit à l'ignorance des considérations économiques et de leurs retombées pour les professionnels comme pour les ménages. Ainsi, l'empilement des normes de construction des logements ou de rénovation entraine une inflation des prix qui désolvabilise la demande avant d'augmenter la valeur ajoutée des immeubles... En outre, les études d'impact, pourtant obligatoires, ne sont jamais menées : on se dispense de tout ce qui éclairerait et fonderait la décision en amont. Pour moi, je pense que les parlementaires de la commission des affaires économiques devraient au cours de leur mandat suivre la vie d'une agence immobilière ou d'un cabinet d'administration de biens pendant quinze jours.
Mais ce mépris pour le danger que fait courir sur les familles et ceux qui les servent une mauvaise décision en matière de logement se double d'un autre écueil : tous les parlementaires et tous les ministres croient connaître le logement. Le logement est une denrée courante. Chacun habite, a loué, a vendu. Alors chacun en politique est persuadé qu'il est ministrable du logement !
Il faudrait pour remédier à cela ce que d'autres secteurs majeurs ont inventé, la Défense en tête : un institut des hautes études de la défense nationale. Les décideurs publics appelés à traiter des sujets relatifs à la sécurité ont là un lieu de formation et d’assimilation exceptionnel. Un institut des hautes études de l'habitat et du logement est indispensable.
Pour autant, cela ne suffira pas. Il est vital que les corps intermédiaires, à savoir les organisations professionnelles, mais aussi les principaux opérateurs, soient associés à la décision politique bien plus franchement qu'ils ne le sont... et que leurs avis soient entendus. La création du Conseil national de la transaction et de la gestion était porteuse de cet espoir. Il est jusqu'à présent déçu : les ministres ne tiennent pas grand cas des analyses techniques et des souhaits formulés par ce cénacle professionnel, alors même que les avis y sont le plus souvent consensuels, réunissant professionnels et consommateurs !
Jusqu'à quand les pouvoirs publics se considèreront-ils seuls dépositaires de l'attachement à l'intérêt général et de la compétence ?
Pour la compétence, les chiffres parlent d'eux-mêmes : effondrement des mises en chantier et baisse des ventes de logements anciens. Pour le sens de l'Etat et du pays, la longue liste d'affaires qui ternissent l'image des femmes et des hommes politiques ces temps-ci est également éloquente.
A ces conditions, l'apprentissage de la réalité du logement, l'estime du corps professionnel, l'assujettissement des revenus des décideurs publics aux résultats obtenus, la politique applicable à l'immobilier sera adaptée et efficace.
A ces conditions seulement !
Comprendre l'économie durable pour s'y investir