Eric Bourguignon, Directeur de la gestion Taux et Crédit chez Swiss Life AM, analyse la politique de la Réserve fédérale.
Les récentes recommandations formulées par le FMI à la Fed sont quelque peu surprenantes. Alors qu’il y a quelques semaines, Janet Yellen confirmait les intentions de la Fed d’opérer une première remontée de ses taux directeurs avant la fin de l’année (une première depuis 2006), le FMI a conseillé à la banque centrale de temporiser. Pour le Fonds monétaire international, il serait préférable de relever les taux au 1er trimestre 2016, le temps d’obtenir des signes d’inflation et de hausse des salaires un peu plus significatifs.
Eric Bourguignon estime au contraire « nécessaire de débuter le plus tôt possible le processus de normalisation des conditions monétaires. C’est à-dire dès ce mois-ci ». Pendant la crise financière, la Fed n’a pas hésité à intervenir très tôt et avec force, pour sauver un système bancaire rongé par les créances douteuses et stimuler la reprise économique. Aujourd’hui, bien qu’elle rencontre encore quelques difficultés structurelles (comme un niveau d’endettement privé et public élevé), l’économie américaine a retrouvé sa robustesse.
« Le maintien des taux à 0,25%, une mesure par nature exceptionnelle, n’a donc plus de sens ». C’est même désormais un facteur multiple de risque. « La Fed souhaite une remontée très progressive des taux, sur plusieurs années et c’est la bonne stratégie. Mais plus elle attendra pour déclencher le premier relèvement, plus il lui sera difficile de préserver les marchés financiers de mouvements brutaux. En restant à un niveau de taux plancher, le risque est aussi de n’avoir aucune marge de manouvre en cas d’éventuel trou d’air de l’économie dans les trimestres à venir ».
Le dégonflement progressif du stock de monnaie, l’autre défi !
Eric Bourguignon évoque également les dommages collatéraux potentiels provoqués par l’afflux massif de liquidités sur une période prolongée. « Avec le 3ème volet de son quantitative easing, la Fed a injecté plus de 1 500 Mds$ dans les marchés financiers. Au total, son bilan a atteint 4 500 Mds d’actifs. Ce dopage monétaire a soutenu la reprise, mais a aussi causé des excès, comme la perte de tout référentiel de valeur dans le ‘pricing’ des actifs qui a conduit à la création de bulles sur quelques segments de marchés, notamment obligataires ».
Outre la remontée des taux, la banque centrale devra donc se pencher sur la gestion du dégonflement des volumes colossaux de monnaie qu’elle a créés au cours des dernières années. C’est l’autre enjeu du cycle d’ajustement monétaire. « À compter de 2016, une fois la remontée progressive des taux bien enclenchée, la banque centrale devra considérer la réduction effective de son bilan. Cette démarche incontournable s’avère encore plus délicate que la manipulation des taux directeurs ».
Concrètement, la Fed dispose de plusieurs options pour diminuer les liquidités en circulation, elle peut vendre tout simplement une partie de son portefeuille de titres ou favoriser les opérations de reverse Repo. « Mais la méthode la plus naturelle consiste pour la Fed à conserver jusqu’à leur échéance l’intégralité des titres obligataires qu’elle a acquis. Le bilan de la banque centrale se réduirait alors progressivement, à l’horizon de plusieurs années » conclut-il.
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