… sous certaines conditions.
Le point de vue de Gilles Frisch, CFA et Responsable du pôle de gestion Asset Opportunities, et Arnaud Fournier, Senior Credit Analyst chez Swiss Life AM.
Après le contrechoc pétrolier, l’horizon s’éclaircit pour les compagnies du secteur dont les émissions obligataires devraient être à nouveau plébiscitées par les investisseurs. Quelques précautions prévalent dans la sélection des émetteurs : la qualité de la trésorerie, la maitrise des capex et le niveau de sécurisation des titres représentent plus que jamais des critères essentiels.
Le redoutable scénario d’un baril à 30 dollars, un temps imaginé par le consensus de marché, ne se produira vraisemblablement pas. Certes, la guerre énergétique que se livrent les Etats-Unis et l’Arabie saoudite est âpre et le pays du Golfe compte bien continuer à fournir abondamment ses clients en privilégiant le volume au prix. Mais une normalisation des cours pétroliers se dessine, animée par un rééquilibrage de l’offre et de la demande à l’échelle mondiale.
L’AIE vient d’annoncer une diminution de la production aux Etats-Unis, conséquence de la stratégie initiée en début d’année par les producteurs pour réduire de moitié leur investissement, une première depuis 2011. Du côté de la demande, l’agence table sur une (légère) augmentation de 1,1 million de barils par jour, portant la consommation globale à 93,6 millions de barils par jour en 2015. Parallèlement, les tensions géopolitiques au Yémen, un point de passage stratégique pour la distribution mondiale, ainsi que la baisse de la production sont de nature à soutenir les cours. Au mois d’avril, la valeur de l’or noir a ainsi rebondi de plus de 20% pour renouer avec un niveau proche de 60 dollars.
Les compagnies capables de couper leurs capex préservent mieux leur note de crédit
Sur le plan des fondamentaux microéconomiques, la réalité est un peu plus nuancée et les acteurs du secteur doivent encore stabiliser leur activité. Du point de vue du créancier obligataire, quelques critères de sélection assez basiques sont toujours aussi discriminants.
Les compagnies pétrolières détentrices d’actifs midstreams (infrastructures de stockage et d’acheminement du pétrole, pipelines, tankers) - ou ayant une participation dans des sociétés propriétaires de tels actifs - présentent des profils plus robustes. Il s’agit là d’un atout compétitif, puisque la propriété des tubes permet à ces entreprises de s’assurer une source de revenus réguliers, fruit de la location de ces infrastructures à d’autres acteurs. La détention « en propre » représente aussi une garantie financière non négligeable, en cas de nécessité : si elle a besoin de se désendetter ou d’alimenter ses capex, la compagnie peut tout à fait céder les infrastructures pour générer des liquidités.
Il est également important de dissocier les entreprises qui ont déjà atteint un rythme de croissance soutenable et une certaine maturité dans leur cycle d’investissement, d’autres, plus jeunes et en pleine phase de développement, qui n’ont pas tellement de latitude pour couper leurs capex. Car la capacité à maîtriser ou réduire rapidement les capex est une disposition favorable surtout lorsque les prix pétroliers sont volatils. Les entreprises qui y sont parvenues au moment où les prix pétroliers ont commencé à chuter ont sauvegardé leur trésorerie et « limité la casse » quant au risque de dégradation de leur notation de crédit.
Evaluer le risque de « juniorisation » obligataire
Surtout, l’investisseur doit être attentif au degré de séniorité auquel il peut prétendre. Cet aspect est plus sensible dans l’univers des émetteurs pétroliers qu’ailleurs. En effet, les compagnies pétrolières jouissent traditionnellement de facilités bancaires leur garantissant un certain niveau de liquidités. Mais en contrepartie, en cas de difficultés ou d’abaissement de leur rating, elles peuvent être exposées au nantissement de leurs actifs par leur banque. Par conséquent, si une situation de défaut survient, les créanciers obligataires ont de fortes chances de se retrouver « juniorisés », c’est-à-dire passer au second plan du remboursement de la dette.
Si ce risque est parfois difficile à percevoir, il peut être anticipé en amont par l’analyse crédit, lors de l’évaluation des fondamentaux de l’entreprise. La qualité et la pérennité des cashflows sont des gages de sécurité. La nature des décisions du management pour financer les besoins de l’entreprise à l’horizon de deux-trois ans est aussi significative : l’appel à l’actionnariat, l’émission d’obligations sécurisées ou la mise en place d’instruments de couverture de la production pétrolière, représentent des signaux rassurants pour les investisseurs.
A l’aune de tous ces critères, force est de constater que les plus belles signatures du secteur se trouvent actuellement outre-Atlantique. Newfield Exploration, California Ressources, Whiting Petroleum ou Antero Ressources en sont quelques bons exemples : Whiting a notamment renforcé sa trésorerie via une augmentation de capital et une émission d’obligations convertibles, tandis qu’Antero a couvert la majorité de sa production, jusqu’en 2020 ! De quoi sécuriser les plans de capex, procurer une forte visibilité aux investisseurs et leur assurer un niveau élevé de bond-floor.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir